La ferme
Maurice Valette
Elle aligne, d’un seul côté de la cour nue,
Ses murs enduits de glaise et son vieux toit foncé
De tuiles, sur lequel de la mousse a poussé
Qui déguise son air sordide et l’atténue.
Aucun rosier grimpant ne pousse près du seuil
Ou n’ombrage le cadre étroit de la croisée,
Mais la marche de pierre est tellement usée
Qu’on devine combien est simple son accueil.
Sur le banc vermoulu, près de la porte ouverte,
Un angora frileux rêve, les yeux mi-clos ;
Un chien maigre, gardien fidèle de l’enclos,
Gronde et montre les crocs à la première alerte.
Dans ce même silence et ce même abandon
Le soleil, chaque jour, rampe sur la muraille :
On entend seulement caqueter la volaille
Ou vibrer le murmure obsesseur d’un bourdon.
Car des grains sont restés sur le sol plat de l’aire
Et des poules y vont gratter. Leurs becs pointus
Semblent vouloir narguer les trois pigeons pattus
Juchés au faîte étroit du pignon centenaire.
Au sommet des fagots entassés, Chantecler
Le grand coq orgueilleux de l’appel qu’il module
A l’air d’un Roi, parmi son peuple qui l’adule,
Coiffé de pourpre vive et panaché d’or clair…
Voici la herse épaisse et la charrue antique,
Le char bourbeux d’avoir roulé par les chemins,
Et puis voici, pareille aux lourds cercueils romains,
La pierre où croupit l’eau d’un abreuvoir rustique.
La mare est là, placide et verdâtre. Un canard
Ridant de son bec plat l’onde qu’il égratigne
S’y pavane et s’y mire — arrogant comme un cygne.
Dans l’arbre voisin siffle un merle goguenard.
On voit, sous l’auge en grès, par l’huis qu’on entrebâille,
Un licol vide et la litière qui s’étend ;
Mais les chevaux sont au labeur et l’on n’entend
Dans l’écurie aucun sabot froisser la paille.
Poussons la porte de l’étable : Il fait si noir
Qu’on ne distingue rien d’abord. On la croit vide,
Puis, se sentant frôlé par un grand souffle humide,
On aperçoit bientôt des formes se mouvoir.
Avec un bruit soudain de chaîne qui s’étire
Une vache aux flancs roux se lève pesamment,
Car elle croit peut-être arrivé le moment
Où, comme chaque soir, la servante la « tire ».
Le jour trop vif l’aveugle un peu. Son œil surpris
Qu’on la dérange ainsi sans motif avant l’heure
Fixe un regard très doux, pendant qu’elle demeure
À ruminer tout bas ses songes favoris.
Des veaux pensifs sont prisonniers dans d’autres stalles.
La fermière s’attarde. Ils passent sur leur dent,
D’un air goulu, leur langue rude en entendant
Claquer le bois de ses galoches sur les dalles.
Mais la fermière alerte, un seau dans chaque main,
Court vers le puits et fait grincer la grosse chaîne.
Car le Maître est dehors, au grand soleil, et peine
Et dit presque toujours quand il rentre : « J’ai faim ! »
Dressant sur les chenets les sarments qu’elle coupe,
Elle pend la marmite et ranime le feu ;
Alors, parmi la salle obscure, peu à peu,
Va monter le fumet champêtre de la soupe…
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