Le chariot rouge
Lucie-Edwige Mayen
Durant toute la nuit le cheval, à pas lents,
A gravi les coteaux et regagné la plaine.
Dans le lavis du jour, chantant sa cantilène
L’Homme qui le conduit est las et somnolent.
L’aube rosit au ciel et les flèches de feu
Dardent passionnément sur les sillons ocres
Et jette des points d’or dans le ruisseau nacré
Ou de petits poissons tracent des ronds soyeux.
Midi exaspéré sonne aux champs éblouis,
Le tumulte vibrant d’abeilles en délire
Cherche le miel exquis et l’arôme, et la cire
Au cœur voluptueux des pistils réjouis.
Et, nimbé de poussière, en mille atomes d’or
Le rouge chariot poursuit la longue route
Dont le ruban moiré s’entremêle, s’ajoute
À l’Apennin neigeux au fond du bleu décor.
L’Homme qui n’en peut plus remonte dans le char,
Et brisé, il s’endort, abandonnant les rênes
Alors, le bon cheval qui comprend bien sa peine
Connaissant son chemin, va, sans faire un écart.
Il va, les yeux fixés là-bas, sur l’horizon,
Les naseaux dilatés et l’oreille en alerte,
Sans se laisser tenter par la bonne herbe verte
Ou l’orge du fossé qui sent la fenaison.
Le harnais aux pompons fleuris d’effilés roux
S’attache sur la selle avec des clous de cuivre
Et les grelots brillants ont des reflets de givre
Lorsque pressant le pas ils vibrent à son cou.
Bien paisible, il s’en va, par crainte des cahots
Attentif aux passants, aux bœufs, aux attelages
Il passe sur un pont, traverse les villages,
La plume de faisan tremblant sur son front haut !
Repose Charretier ! Dors au son des grelots !
Le bon cheval poursuit en évitant l’ornière
Et, sachant que tu dors, agite sa crinière
Pour éloigner les taons fomentant des complots.
Que Ton rêve soit doux, autant que ton lit dur,
Repose Charretier, car cette route est tienne,
Car elle est bien à Toi, la Poussière Olympienne
Qui vient des champs Toscans sur les beaux épis murs !