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dimanche 31 août 2025

Marie Dauguet • Le voyage | Les rendez-vous du vers






Ce poème, malgré la monotonie que peuvent évoquer ses rimes suivies, est à mon sens l’un des meilleurs de Marie Dauguet. Il rappelle le grand poème Le roulier d’Édouard Michaud — ou inversement. Ces poèmes « à déroulement » et profondément rustiques sont sans doute ce qui s’est fait de plus noble, de plus hautain dans l’histoire de la poésie.
Mon enregistrement ici n’est pas au sommet ; les poèmes de Marie Dauguet, Charles Argentin et Emmanuel Vitte, furent parmi les premiers desquels je fis  des enregistrements, et dans celui-ci, je n’avais pas encor pleinement adopté la rythmique si propre à la plupart des poésies audio que j’ai produites par la suite.





Le voyage




Marie Dauguet





Je me souviens du vieux cheval trottant sans trève
Tout efflanqué dans ses harnais, cheval de rêve
Qui, dans un cliquetis de ferraille et d’écrous
Et de grelots, heurtait du sabot les cailloux.

Voici les départs par les fraîches matinées,
Le grand silence des plaines embruinées ;
En marge des chemins humides, la luisante
Floraison des panais desséchés et qu’argente

La rosée, et voici, avec leurs cimetières
Aux murs blancs, l’abreuvoir et l’échoppe où l’on ferre,
Les villages, les puits dormants sous les noyers
Et le purin d’or fin qui cercle les fumiers.

Maléfique, le tourne-bride solitaire,
Lépreux et vermoulu, assis près d’une ornière,
Arbore dans le vent quelque branche de houx.
Je me souviens de ce cliquetis des écrous,

Du vieux cheval étique et de son ombre folle
Dansant sur le chemin que le soleil rissole,
Des côtes qu’on montait à pied quand il soufflait
Par trop. Je vois encor comment se déroulait

La grand’route poussiéreuse de Provenchère
Ou de Saint-Blin, les peupliers dans la lumière
Défilant au cri des essieux qui vous endort
Et dessinant au bleu du ciel leurs flèches d’or.

Une charrue ouvre à plein soc la terre forte
Sous l’élan des chevaux vigoureux qui l’emportent
Et l’homme, un grand Lorrain, au bord du firmament,
Fouaillant son attelage, superbement

Se dresse. Il est midi, on s’arrête à l’auberge,
La cuisine est obscure avec son lit de serge,
Sa grande cheminée et ses landiers noircis
Où, surveillant le pot, un grand-père est assis.

Les gens étant aux champs, l’omelette à la crème
On la bat et la soupe on la trempe soi-même
Et l’on trouve suave en des verres épais
Qu’on rince sur l’évier, un gros vin violet.

Et puis c’était le soir, la paix comme extatique
Des forêts en Octobre et le mélancolique
Encens qu’exhalaient vers les cœurs endoloris
Les fossés vaseux et les champignons pourris.

Les hêtres s’effeuillaient. Toute une âme sauvage
Respirait, et des mousses et des saxifrages
Et des taillis tout dégouttants d’humidité
Montait aux lèvres une odeur de nudité.

Le vieux cheval trottait ; les chevrotants fantômes
Des brebis nous croisaient abandonnant les chaumes
Mouillés et que la lune incertaine noyait ;
Des seuils entrebâillés dans la nuit flamboyaient,

Et c’est le cœur serré que l’on attendait l’heure
D’apercevoir au loin la très vieille demeure,
De se blottir en la douceur, oiseaux errants,
Du tiède nid qu’avaient tressé les grands-parents.

jeudi 12 juin 2025

Marie Dauguet • Sous le pin musical | Les rendez-vous du vers






Sous le pin musical




Marie Dauguet





Sous le pin musical, pendant que ton troupeau
Broute la sauge humide et tendre au bord de l’eau,
Que l’agneau ramené vers sa mère qui bêle,
S’attache avidement à sa lourde mamelle,

Sieds-toi, berger. Le soir empourpre le coteau
Et suspend nos labeurs. Prends ta musette et mêle
Aux murmures du pin, dont l’ombre bleue chancelle,
À l’appel trébuchant et clair du cailleteau,

Ta chanson. Qu’elle exalte, en un mode archaïque,
La sereine beauté de l’heure bucolique
Et la douceur de vivre et la bonté des dieux,

Tandis que dans la plaine où notre œil se repose,
Descendu de son char aux fulgurants essieux,
Le soleil las s’endort sur la javelle rose.

vendredi 6 juin 2025

Marie Dauguet • La baraque | Les rendez-vous du vers






La baraque




Marie Dauguet





Ma baraque est au bord du bois,
Dans l’odeur âpre de la sève
Baignant son invisible toit,
Ma baraque est au bord du rêve.

Ma baraque luit aux beaux jours,
Comme un phare en la solitude ;
Elle est mon rempart et ma tour
Contre les vaines servitudes.

Les murs sont des blocs desséchés
Encadrant l’étroite croisée,
Les carreaux à moitié cachés
Par les fougères enlacées.

Le seuil est de granit rongé,
La porte sans pêne ni clenche,
Maison d’outlaw ou de berger,
Qu’on clôture d’un bout de branche.

Le sol rugueux, l’âtre noirci,
Que soutient un pavé difforme,
Où flambent, par les soirs transis,
Le genêt, l’épine et la corme ;

Pour couche, la peau d’un bélier
Qu’auprès du foyer tiède on traîne ;
Dans un coin, fruste mobilier,
Le banc et la huche de chêne.

Et pas un choc brutal de voix
Heurtant le silence des mousses,
Rien qu’un ruisseau fuyant sous bois
Parmi l’ombre qu’il éclabousse.

Le vol d’un geai, le cri dolent
D’un crapaud au fond d’une ornière
Ou, brusque, un lièvre détalant
De quelque sente coutumière.

Ni formules, ni mots appris
Et que débitent à la grosse
Les gens du monde aguerris ;
Ni dogmes vains, ni gaîté fausse.

Loin d’eux et loin d’elles surtout,
Loin des dupes et des coquins,
Dans ma baraque qu’il est doux
De vivre seul avec mon chien !

samedi 3 mai 2025

Marie Dauguet • La maison de granit | Les rendez-vous du vers






La maison de granit




Marie Dauguet





La maison de granit qui luit comme du sel,
Rêve, les volets clos, sous un lourd toit de chaume ;
Rien qu’un branle de rouet dans la cuisine, auquel
Font écho les fredons du rucher... — Tout embaume,

Le jasmin de la porte et les fruits du verger,
Les roses s’effeuillant parmi l’herbe fauchée,
Les brugnons mûrissant au long des espaliers
Et, dans un coin, la menthe et l’anis par torchées.

Tout embaume en silence, et les touffes de buis,
Et les œillets là-haut garnissant la faîtière,
Et l’eau sombre qui dort au gouffre vert du puits,
Où tremble un peu d’argent entre deux brins de lierre.

vendredi 20 décembre 2024

Marie Dauguet • Au ciel hivernal... | Les rendez-vous du vers






Au ciel hivernal...



Marie Dauguet




Au ciel hivernal confondus,
Des chênes en lugubres frises
Et que l’ombre fantomatise,
Dardent leurs gestes éperdus.

Comme un lourd bétail assoupi
Chargé de noirâtres crinières, —
Genêts fripés, myrtils, bruyères, —
Des rochers dorment accroupis.

Asiles pour les bêtes rousses,
Les ronciers aux vastes enceintes
S’étendent, où la vague empreinte
Des pinces au sol dur s’émousse.

Dans un repli marécageux
Du bois, un peu d’eau sombre grogne
Et très-loin une hache cogne,
Très-loin à l’horizon neigeux.

Puis s’éteint le rythme qui frappe
L’écho mort ; la paix d’un cercueil,
Et sous les baliveaux en deuil
S’étale un silence de trappe.

Voilant les rameaux corrodés,
La neige insensiblement tombe
Et, seul vivant, parmi la combe
Fuit un sanglier déhardé.

lundi 9 septembre 2024

Marie Dauguet • Clarté de l'aube | Les rendez-vous du vers






Clarté de l’aube




Marie Dauguet





Clarté de l’aube chaste aux ailes des colombes,
Givre laiteux, fardez les bois ; tremblez rayons
Sur les lys entrouverts à la pierre des tombes,
De lilas bleuissants parez les noirs sillons.

Clarté de l’aube rose au cou des tourterelles,
Brouillard vermeil, coulez à l’écume des eaux,
Frémissante rosée ensanglantant les prêles
Qui nimbez d’incarnat la fuite des bouleaux.

Splendeurs du jour nouveau, en roses triomphales
Fleurissez les jardins merveilleux de la nuit
Et mêlez à la brise aux joyeuses rafales,
Le sang des calices larges épanouis.

L’Amour s’éveille et tend sa lèvre inassouvie
À l’humide parfum des jeunes voluptés
Et verse à son désir, roses, votre ambroisie,
Meurtrissant vos langueurs de baisers indomptés.

Les chevreaux piétinent l’argent frais des fontaines,
Boivent le jour naissant épars en leurs reflets,
Et le berger frileux sous sa cape de laine
Dessine au milieu d’eux son profil violet,

Et sa flûte répand, pour charmer l’aube rousse,
Son murmure, pendant qu’à son fruste amoureux
Elle sourit debout et les pieds dans la mousse,
Tordant à son front l’or mouillé de ses cheveux.

lundi 3 juin 2024

Marie Dauguet • La vieille église | Les rendez-vous du vers






La vieille église




Marie Dauguet





Vieille église en prière au bord du firmament,
Je m’assieds à ton seuil, dont la douceur me tente.
Autour de moi plus rien qu’un étincellement
Soyeux ; la solitude, et cette odeur de menthe.

Tu domines l’espace où rêvent les vents bleus,
Les prés couleur de ciel, les seigles en javelle,
Le primitif village, avec ses toits rugueux,
Et le temps et mon cœur, toute la vie réelle.

La bourrache azurée, que le soleil étiole,
Du serpolet séché, des remous d’herbe folle,
Où des papillons bleus frissonnent enlacés,
Entourent ton portail et ses pavés cassés.

Sur des coquelicots, brusques taches vermeilles,
La molène élevant partout ses thyrses d’or,
S’alentit la chanson fluide des abeilles
Qui bercent le sommeil millénaire des morts.

Car on découvre encor, dont s’orne ta muraille,
Des dalles où l’on voit dormir des chevaliers,
Très dignes sous le casque et la cotte de maille,
Avec leur chien fidèle assoupi à leurs pieds.

Et, baume caressant la trace des cilices,
Parmi le grand silence, à ton porche arrêté,
Aujourd’hui le soupir frais d’un orgue est monté,
Jusqu’à l’âme, portant ses langueurs séductrices.

Quand je rêve à ton seuil, ayant soif, ayant faim
D’Idéal, mendiant que la misère écrase,
Comme il coule à pleins flots sur mes plaies en extase,
Le baume guérissant du Bon Samaritain.