Le bourg natal
Joseph Rousse
L'abeille se souvient de sa ruche natale ;
L'hirondelle à son nid revient chaque printemps ;
Mon âme, allons revoir et parcourir les champs
Où la vie eut pour nous sa beauté matinale.
J'aime notre vieux bourg au milieu des blés mûrs,
Bornés dans le lointain par la mer azurée ;
J'aime notre maison de sa treille entourée,
Avec les liserons qui grimpent à ses murs.
Voilà cette fenêtre où, les soirs de novembre,
J'entendais les pluviers passer dans le ciel gris..
Du haut de ce balcon quelquefois j'ai surpris
L'aurore souriant aux neiges de décembre.
Mon père s'asseyait au pied de ce jasmin ;
Des loriots suspendaient leurs nids dans ce grand chêne ;
Mes sœurs, en se penchant au bord de la fontaine,
Agaçaient les échos de leur rire argentin.
Quand on cueillait les fruits, je me souviens encore
De la senteur des coings parfumant le grenier ;
Nos jeunes bras pliaient sous le poids d'un panier,
Et les pommes roulaient dans l'escalier sonore.
De riants souvenirs remplissent la maison :
Voici le grand foyer et ses chenêts antiques ;
C'est là qu'on nous disait des récits fantastiques,
Devant un feu de lande, au chant clair du grillon.
Le bourg a peu changé, mais le vieux presbytère
Est tombé sous les coups du stupide marteau,
Avec son beau portique ombragé d'un ormeau
Et qui semblait gardé par deux anges de pierre.
Dans ce chemin je vis un triomphe brillant,
Plus de cent bœufs, ornés de fleurs et de verdure,
Traînant un char couvert d'une riche tenture,
Qui portait un évêque au regard souriant.
Cette maison moussue à la porte ogivale
Est celle où, dans les soirs qui précèdent Noël,
En habits de théâtre et d'un ton solennel,
Les jeunes paysans jouaient la pastorale.
Noël à cette nuit je songe avec bonheur !
On voyait scintiller dans la campagne sombre
Et s'approcher du bourg des lanternes sans nombre,
Quand les cloches sonnaient la messe du Sauveur.
L'église est toujours pauvre et ses vieilles toitures
Tremblent au vent de mer sur des murs chancelants.
J'ai reconnu les saints, le christ aux pieds sanglants,
Les tableaux, les autels aux gothiques sculptures.
J'aurais aimé goûter un jour le vrai repos
Sous l'odorant fenouil, auprès de cette église ;
Mais on dit que les morts ont corrompu la brise,
Et dans un champ lointain on va porter leurs os.