Les pâtres
Arsène Vermenouze
I
Il est, dans le Cantal, des terroirs dédaignés,
Où le blé noir se mêle aux fleurs de la bruyère,
D'âpres terroirs, où, vers le Lot et la Truyère,
Coulent de clairs ruisseaux bordés de châtaigniers.
C'est de là que, l'été, délaissant les écoles,
Des pâtres bruns, âgés de huit et de dix ans,
Tous fils de bûcherons ou d'humbles paysans,
Montent vers Aurillac gagner quelques pistoles.
Leur bagage au bout d'un bâton et sans le sou,
Ils quittent en sabots leur pays rude et chiche,
Songeant qu'ils vont enfin goûter au pain de miche
Et peut-être pouvoir en manger tout leur saoul.
Car, pour eux, le beau pain, le pain blanc est un rêve,
Et, tout en cheminant, ils en parlent entre eux ;
Ils célèbrent le haut pays, si plantureux,
Si riche en viande, en lait, si regorgeant de sève.
Ce pays où, durant les grandes fauchaisons,
On sort les miches par douzaines de la huche,
Cependant que le vin ruisselle à pleine cruche
Parmi les travailleurs assis sur le gazon.
Une fois embauchés, les pâtres ont pour tâche
De garder et de traire avec leurs frêles doigts.
Des vaches rouges, dont ils ont peur quelquefois,
Encor qu'un lourd collier de fonte les attache.
À nuit tombante, ils vont souvent rentrer les bœufs
Qui ruminent, couchés dans l'herbe d'un pacage,
Et leur cœur saute ainsi qu'un oiseau dans sa cage,
Car les rochers, le soir, dressent des dos gibbeux.
Les arbres ont des bras griffus qui gesticulent ;
Des lambeaux de vapeur, sous le jour déclinant,
Flottent, pareils à des linceuls de revenants,
Et se fondent dans la cendre du crépuscule.
Des ailes au vol lent et mou fouettent l'air gris ;
Les mares qui dormaient se réveillent, spectrales,
Pleines de grouillements étranges et de râles,
Des animaux mystérieux poussent des cris.
Vers le bétail qui les attend ; rêveur et morne,
Les pâtres frissonnants courent à travers prés
Et reviennent enfin, un peu plus rassurés,
En tenant l'un des bœufs les plus doux par la corne.
II
À pointe d'aube, ils vont, encor mal éveillés,
Garder leurs animaux parmi landes et chaumes ;
Mais alors, plus de revenants, plus de fantômes :
Le ciel est souriant, les prés ensoleillés.
Les reptiles douteux et les bêtes méchantes
Font place à des lézards que l'on prend à la main ;
Des insectes dorés courent par les chemins,
Et les oiseaux qu'on voit sont des oiseaux qui chantent.
Imprégnés d'air salubre, ignorant les soucis,
Les pâtres loqueteux, qui jamais ne s'enrhument,
Promènent à travers la rosée et les brumes
Leurs pieds nus et calleux que le hâle a roussis.
Ils expulsent les grillons noirs de leurs tanières,
En y plongeant un brin d'herbe très fine ; ils sont
Heureux quand ils ont pu trouver un hérisson.
Qu'ils font nager dans l'eau dormante des vernières.
Ils ont toujours, parmi leur rustique troupeau,
Quelque taurillon rouge, à l'œil espiègle et brave,
Qui tend vers eux son mufle où pend un fil de bave
Et vient croquer du gros sel gris dans leur chapeau.
Ils vivent tout le jour loin des regards du maître,
Avec des coudriers et des osiers légers
Ils font des cages pour les piverts et les geais
Qu'ils montent dénicher à la cime des hêtres.
Maintes fois, dans un champ voisin du leur, filant
Quelque étoupe ligneuse et rude, une pastoure,
Qu'un troupeau de brebis ou de chèvres entoure,
Apparaît à côté d'un labry vigilant.
Sur un rythme imité des antiques églogues,
Pâtre et pastoure alors se chantent en patois
Tout ce qui, chaque jour, se passe sous leurs toits ;
Et ce sont, par les champs, d'étranges dialogues.
Souvent, plus tard, devant le vieux curé du bourg,
Un couple rougissant et joyeux s'agenouille,
Où l'on reconnaitrait la bergère à quenouille
Et le pâtre mué en garçon de labour.
En attendant, malgré quelques heures bien dures,
Les ruades des bœufs, les jurons des fermiers,
Les pâtres, dénicheurs de geais et de ramiers,
Grandissent dans la bonne et salubre nature.
Et le soir, au retour, à l'heure où le sonneur
Du village, soudain, met en branle ses cloches,
Tout en courant parmi les genêts et les roches
Ils sifflotent, contents de leur part de bonheur.
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