samedi 7 juin 2025

Edmond Sautereau • Le laboureur de Beauce | Les rendez-vous du vers






Le laboureur de Beauce




Edmond Sautereau





Octobre est de retour : à peine est apparue
L’aube, que matinal, regagnant ses travaux,
Son grand fouet à la main, part avec sa charrue
Le laboureur porté par l’un de ses chevaux.

Déjà la matinée est humide et brumeuse.
Homme et chevaux couplés aspirent le brouillard,
Maigre et mouillé, dressant sa tête floconneuse,
Le chardon épineux se hérisse à l’écart.

Du courlis effrayé le dernier cri s’efface.
L’alouette en chantant rase encor les sillons.
À l’orient le ciel s’éclaire, et dans l’espace
Se dispersent au loin des gerbes de rayons :

C’est lui, c’est l’œil du jour, au-dessus du nuage,
Dont le sommet vermeil brille de rose et d’or.
Dans la terre le soc s’enfonce, et l’attelage,
Reprenant le sillon, va, vient, revient encor,

Le coutre fend le sol ; et la glèbe croulante,
Qu’avec effort soulève et retourne le fer,
Le fait luire au soleil et s’étale fumante :
On croit voir des vapeurs d’encens flotter dans l’air.

Et sur les pas de l’homme et des vaillantes bêtes
Voletant, sautillant, se pressent sans façon,
Convives emplumés, pie et bergeronnettes,
Becquetant à l’envi vers, larves à foison.

D’un agreste parfum la terre labourée
Enivre à pleins poumons le travailleur hâlé,
Des fraîcheurs de la nuit la plante saturée
Penche et fait resplendir son feuillage emperlé.

Avec chiens et pasteur au long manteau rustique
En bêlant sort du parc le troupeau de moutons,
À cette heure entouré de brume poétique ;
Il s’en va chercher l’herbe et la plante en boutons.

De la cour de la ferme avec leur petit pâtre
Lentes sortent aussi les vaches aux flancs roux :
D’un regard vigilant la maîtresse de l’âtre
Les suit jusqu’au détour du gros buisson de houx.

Autour du laboureur humble, dur et stoïque
De mâle activité tout se remplit aux champs ;
Tout forme sous le ciel comme un concert rustique,
Auquel s’unit son cœur plein de rêves touchants.

Travailleur pacifique, et que pourtant la guerre
Trouverait courageux et fort dans le combat,
S’il fallait pour les camps abandonner la terre
Et partager, un jour, la tâche du soldat,

Il se sent cher au Dieu dont la toute-puissance
Fait germer et mûrir les blés luxuriants,
Et donne au pain conquis par un labeur immense
Une saveur qui manque au pain des fainéants.

Midi, dont l’ardeur brûle et le sol et le chaume,
Embrase le zénith : tout a soif ; l’air en feu
Fait couler la sueur des chevaux et de l’homme.
L’œil cherche en vain au ciel un flocon ; tout est bleu.

La cloche du village aux lointaines volées,
Annonce au travailleur le moment du repos.
Il ramène à leur toit ses bêtes dételées,
Et la Grise lui prête encor son large dos.

Oh ! qu’ils ont bien gagné l’avoine et la provende,
Ces deux bons animaux au poitrail écumant,
Qui, prêts à tout effort que l’homme leur demande,
Labourent depuis l’aube infatigablement !

Et lui, le laboureur, de qui la gorge est sèche
Et l’estomac creusé par l’air frais du matin,
Quand de foin odorant il a rempli leur crèche,
À son tour d’apaiser et sa soif et sa faim.

Assise à ses côtés sa famille rayonne :
Sa compagne robuste et simple lui sourit,
Et ses enfants aimés lui font une couronne,
Comme à l’arbre ses fruits que le soleil mûrit.

Le repas terminé, le père fait un somme
Sur le foin. Sa moitié l’éveille doucement.
Un frais baiser d’enfant l’effleure aux tempes, comme
Le zéphyr, en juillet, rase le flot dormant.

Debout ! De retourner voici l’heure venue.
L’attelage repart et reprend ses travaux :
Dans le champ jusqu’au soir geint encor la charrue,
Et vont à plein collier tirant les bons chevaux.

Avec ses compagnons à la vaste encolure
L’homme, sans s’arrêter, marche du même pas,
De ce pas soutenu, calme et vaillante allure,
Dont va le paysan jusqu’au jour du trépas.

Enfin le soir descend, et dans la plaine blonde, 
Où la brise en été creusait des vagues d’or,
Luit la route et son rang d’ormes à tête ronde
Au loin, et du clocher le coq plus loin encor.

Les vaches font tinter leurs clochettes fêlées
Le long du chemin blanc, au bord d’herbe couvert.
Par degré le ciel prend des nuances voilées
D’améthyste, d’or pâle idéal et de vert.

L’air fraîchit ; à demain semailles et hersage.
Les poumons dilatés respirent ; la sueur
Du flanc des deux chevaux lassés du labourage
S’exhale et fait un nimbe à la blanche lueur.

Le laboureur revient, et brune au crépuscule
Sa silhouette, assise au flanc d’un des chevaux,
Sur l’horizon lointain et dont la ligne ondule
Grandit, mêlant son ombre à celle des coteaux,

Et puis tout lentement pâlit, s’éteint, s’efface.
Le croissant argenté paraît au firmament,
À son foyer joyeux l’homme a repris sa place ;
Il a rempli sa tâche, et son cœur est content.

Le travailleur sourit, plein de reconnaissance
Pour Dieu, qui lui donna tendre épouse, enfants blonds.
Il s’endort, et ce Dieu lui fait en espérance
Voir abonder aux champs de nouvelles moissons.

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