Le vieux moulin
Georges Quiquemelle
Vous verrez, en passant, un antique moulin
Tout au fond du vallon, au bord de l’eau qui glisse,
L’enduit, noir et cassé, de la tuile est complice
Pour affirmer sa plainte et dire son déclin ;
Au gré des nénuphars, pleurant à sa manière,
Le barrage, troué, n’arrête plus les flots,
Le grenier est désert et les volets sont clos,
Le vieux moulin d’antan a perdu sa meunière.
Dans le sombre décor de cet isolement
La grande roue étend sa splendeur offensée,
La robuste charpente à la pierre adossée
N’a plus sa majesté ni son fier mouvement ;
Pour mieux accélérer leur œuvre meurtrière,
Jusque dans ses augets les ronces ont poussé,
Car, avec l’ornement d’un triomphe passé,
Le vieux moulin d’antan a perdu sa meunière.
La plaine y descendait les trésors de son grain ;
Quand le compte dernier des moissons terminées
Avait donné l’appoint, des fécondes années,
Le bonheur s’affirmait en maître souverain ;
Mais le lourd chariot ne trace plus d’ornière
Au chemin incliné sur le flanc du coteau,
Plus de jeune fermier en casquette ou chapeau,
Le vieux moulin d’antan a perdu sa meunière.
Au sommet des halliers touffus des alentours
Éclataient les refrains de mainte vocalise,
Des famines d’hiver, méprisant l’analyse,
Les gosiers égrillards résonnaient tous les jours,
Lorsque las d’explorer la place familière,
Où l’aisance d’alors laissait le grain tombé,
Les chantres des buissons, un soir, ont succombé,
Quand le moulin d’antan eut perdu sa meunière.
L’immense table était mise pour le passant,
Aux midis, que soudain l’angélus illumine,
Le mendiant savait y trouver bonne mine
Avec l’attraction d’un mets appétissant ;
Mais en vain, à présent, il suivait la rivière,
Pour frapper à la porte attendant à dessein
Que la cloche s’ébranle au village voisin,
Le vieux moulin d’antan a perdu sa meunière.
Où sont les temps lointains de la prospérité,
Quand les meules laissaient échapper, fine et blanche,
La farine tombant en discrète avalanche ?
De ces jours de soleil nul rayon n’est resté ;
Mais dans ce souvenir d’hôtesse hospitalière,
Pour encore nourrir le monde et les oiseaux
Et pour faire rêver fermiers et damoiseaux,
Le vieux moulin d’antan regrette sa meunière !
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