Le village de Beure
Louis Mercier
Près des rives du Doubs est un heureux village
Étalant au soleil ses vignes, ses pourpris !
Beure, tel est le nom de cet Éden sauvage
Pour qui toujours mon cœur d’un même charme est pris.
Nulle part on ne voit les fermes aussi gaies
Montrant leurs toits de brique à travers les pruniers,
Plus de fleurs aux rameaux, plus d’oiseaux dans les haies,
Lorsque brillent d’Avril les rayons printaniers.
Dans ses prés odorants, par ses rochers arides,
J’ai couru, jeune enfant — et des petits bergers
Combien j’aimais les jeux, les courses intrépides :
Avec eux j’ai pillé ses splendides vergers.
À la Saint Jean d’Été, qu’il m’est doux, un dimanche,
De revoir ce vallon aux souvenirs si chers :
Pour moi qu’elle a d’attraits, sous le noyer qui penche,
Notre pauvre chaumière avec ses pampres verts.
Au détour du chemin, tout ému, je m’arrête
Et contemple un instant les rochers d’Arguel
Crénelant l’horizon de leur bleuâtre crête
Et comme un fort abrupt s’étageant dans le Ciel.
Je contemple le Doubs errant par les prairies,
Ainsi qu’un serpent vert, en zig-zag ondulant ;
Ou bien, autour de moi, les blanches gypseries
Et notre vieille église au dôme de fer blanc :
Je contemple surtout du joli Bout-du-Monde
La cascade égrenant ses humides saphirs :
Les soirs d’été, l’on dit qu’une fée en son onde
Vient livrer son beau corps aux baisers des zéphirs :
Mais on m’a vu venir — et ma mère attentive
Vite du buffet tire une nappe où se sent
Une suave odeur d’iris et de lessive,
Et mon père à la cave en sifflottant descend.
Grand’mère, sommeillant dans son fauteuil de chêne,
Se réveille en sursaut sous mon bruyant baiser,
Et, tandis que Médor aboie à perdre haleine,
Le chat sur mes genoux, leste, vient se poser.
Voilà bien la grand’ salle aux poutres décorées
De faulx et de râteaux, de grappes de maïs :
Sur les murs je retrouve, images vénérées,
Ferréol et Ferjeux les patrons du pays.
Qu’il est bon le dîner dans la faïence peinte
De fantastiques fleurs ou d’un coq jaune et bleu ;
Le vin de Mercurot pétille dans la pinte
Et dans les verres coule ardent comme du feu.
C’est d’abord le pain bis avec son goût d’amande.
Le bresi rouge et sec qui fait boire à grands coups.
L’omelette d’or, blonde ainsi qu’une flamande,
Et la tranche de lard qui tremble sur les choux.
De bon cœur rit mon père et, sa gaîté, c’est signe
Que ses grands bœufs vont bien et que ses blés sont beaux,
Que les foins ont donné, que superbe est la vigne :
Pourtant d’avance il craint... de manquer de tonneaux.
Fraîche comme son nom, ma cousine Rosette,
À vêpres se rendant, vient nous dire bonjour :
On dirait de Muller l’espiègle Mionette :
Vraiment elle devient plus belle chaque jour.
Ma sœur en souriant au milieu de nous pose
Un immense gâteau, des fraises de Fontain ;
Et voyant qu’à chanter déjà l’on se dispose,
Mon père apporte encor un flacon de vieux vin.