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mardi 3 juin 2025

Alphonse Bourgoin • L'étang | Les rendez-vous du vers






L'étang




Alphonse Bourgoin





Couronné de roseaux et de tiges fleuries,
J’aime évoquer, parfois, un calme et clair étang
Qui sommeille, là-bas, au milieu des prairies,
Où des ombres d’oiseaux passent à chaque instant.

L’hirondelle qui joue et pourchasse des proies,
De son aile, sans cesse, effleure l’eau qui dort,
Des bandes de canards et des flottilles d’oies,
Voguent, languissamment, d’un bord à l’autre bord.

Les laveuses, dès l’aube, auprès de l’eau s’assemblent,
Et frappent, en causant, le linge, à coups nerveux,
Puis s’en vont le poser sur les branches qui tremblent,
Le long de la prairie où ruminent les bœufs.

L’hiver arrive. C’est, au sortir de la classe,
Le bruit lourd des sabots qui foulent le verglas,
Les patinages fous, vieil étang, sur ta glace,
Et les chutes, aussi, qui font rire aux éclats.

Et j’aperçois, blancheurs glissant dans l’ombre brune,
Les troupeaux. Dans la nuit, ils viennent à pas lents ;
Les bœufs entrent dans l’eau, boivent près de la lune
Dont la blancheur s’émiette au ras des mufles blancs.

Un maréchal ferrant, pour encercler ses roues,
Avec ses ouvriers, descend parfois du bourg.
Soufflant, suant, criant, d’une voix qui s’enroue,
Il peine avec les siens, longtemps après le jour.

Un gros feu de fagots flambe près de l’eau sombre
Où l’on a mis rougir plusieurs cercles de fer,
Et les hommes, autour, s’agitent, et leurs ombres,
Évoquent des démons échappés de l’enfer.

J’évoque tout cela. J’entends, soudain, les plaintes
Que le vent, dans les pins, siffle près de tes eaux,
Avec les mille bruits qui m’inspiraient des craintes,
Le soir, dans les grelots frêles de tes roseaux.

Je revois — certains jours — tes écluses ouvertes,
Les pêcheurs, dans ton lit de vase, s’engageant,
Cependant que, plus bas, le long des tiges vertes,
Glissent les fins brochets et les carpes d’argent.

À l’aube, en plein midi, sous les nuits étoilées,
De tes eaux je connais tous les aspects charmeurs,
Je sais où me pencher sur les herbes foulées,
Pour joindre un nénuphar à ma gerbe de fleurs.

Et te voici tranquille, au fond de ta vallée,
Toi qui fus le témoin de mes jeux, si longtemps.
Que de fois mon enfance en toi s’est contemplée !
Es-tu toujours le même, à mes yeux, vieil étang ?

Les anciens souvenirs que ton onde encor garde,
Vais-je, penché sur toi, maintenant les revoir ?
Ce n’est plus la même âme, hélas ! qui vous regarde,
Nuages qui passez en son tremblant miroir !

Qu’importe, sur ton bord, c’est toute ma jeunesse
Que je trouve, c’est tout mon passé triomphant,
Et la brise, ce soir, où je sens ta caresse,
A la même douceur que sur mon front d’enfant !...