mardi 10 juin 2025

Francis Clerc • À la Franche-Comté | Les rendez-vous du vers






À la Franche-Comté




Francis Clerc





J’aime tes noirs sommets, terre de ma Comté,
Tes vals profonds et verts où les ruisseaux serpentent.
Tes forêts de sapins qui gravissent les pentes,
Et tes rochers si blancs par les soleils d’été.

J’aime tes lacs d’azur fréquentés des sarcelles,
Les appels des pêcheurs cachés dans les roseaux,
Où l’automne on entend sur le calme des eaux
Passer rapidement des frémissements d’ailes.

J’aime tes vieux moulins au pavillon tremblant
Qui tournent doucement dans le fond de la gorge ;
Où l’on se plaît encor à manger du pain d’orge
Et du jambon fumé qui pend au plafond blanc.

J’aime le son lointain de toutes les clochettes
Des troupeaux bondissants épars au flanc des monts,
Et des rocs du Poupet au sommet des Larmonts
Entendre les vieux chants que les bergers répètent.

J’aime tes clochers gris juchés sur les plateaux,
Tes antiques cités qui défendent nos plaines
Depuis les temps lointains des légions romaines,
Et tes fermes qui vont s’égrenant aux coteaux.

Et je vous aime aussi, sœurs aux âmes exquises,
Qui mettez parmi nous votre fine beauté,
Et qui, dans les foyers de l’antique Comté,
Gardez l’art et l’honneur dont vous êtes éprises.

Nous aimons tes sillons comme des fils pieux,
Noble terre, joyau de notre sol de France ;
Et loin d’eux nous gardons l’invincible espérance
De reposer auprès des tombeaux des aïeux.

dimanche 8 juin 2025

Jean Rebier • Les châtaigniers | Les rendez-vous du vers






Les châtaigniers




Jean Rebier





Quand je passe, en hiver, dans la combe déserte
Où les vieux châtaigniers lèvent leurs bras noueux
Je m’arrête, pensif, devant ces bons aïeux,
Car ils ont un aspect qui glace et déconcerte.

Lépreux, tordus, troués, sous le ciel gris et froid
Ils érigent leurs troncs vêtus de moisissures,
Et perdant un sang noir par d’affreuses blessures
Ils semblent, dans la nuit, des spectres de l’Effroi.

Squelettes décharnés qu’on croirait insensibles
Ils rugissent pourtant quand le vent des hivers
Faisant craquer leurs os, fouillant leurs flancs ouverts,
Cruel et fou, s’obstine après ces tristes cibles.

Et je n’ai jamais su, passant épouvanté,
S’ils poussent, les damnés, ces clameurs frénétiques,
Et s’ils tendent leurs poings mutilés et tragiques
Pour maudire le ciel ou demander pitié.

Mais, quand viendra l’avril, sous l’écorce rugueuse
La sève coulera comme un sang généreux,
Et sur les rameaux gris, les bourgeons vigoureux
Mettront leur tache verte, éclatante et joyeuse.

Dans les branches, les nids feront leur bruit charmant,
Et les troncs torturés des châtaigniers fantômes
Redevenus vivants, s’arrondiront en dômes
Où la brise du soir chantera doucement.

Et les pelons, mûris par le soleil d’automne,
En tombant sur la mousse égrèneront encor
Leurs marrons savoureux vêtus d’ébène et d’or,
Fruits d’arrière-saison dont la splendeur étonne.

Dans les branches, les nids feront leur bruit charmant,
Et les troncs torturés des châtaigniers fantômes
Redevenus vivants, s’arrondiront en dômes
Où la brise du soir chantera doucement.

Et les pelons, mûris par le soleil d’automne,
En tombant sur la mousse égrèneront encor
Leurs marrons savoureux vêtus d’ébène et d’or,
Fruits d’arrière-saison dont la splendeur étonne.

Puis, brisé par l’ultime et magnifique effort,
Chaque tronc, laissant choir ses feuilles jaunissantes,
Plongera plus avant ses racines puissantes
Pour renaître, au printemps, plus robuste et plus fort.

Ainsi, mon Limousin, noble et fière patrie,
Tu connus l’ombre après les siècles triomphants,
Mais la sève qui rend bons et forts tes enfants
Gonfle encore ton sein, source jamais tarie !

samedi 7 juin 2025

Edmond Sautereau • Le laboureur de Beauce | Les rendez-vous du vers






Le laboureur de Beauce




Edmond Sautereau





Octobre est de retour : à peine est apparue
L’aube, que matinal, regagnant ses travaux,
Son grand fouet à la main, part avec sa charrue
Le laboureur porté par l’un de ses chevaux.

Déjà la matinée est humide et brumeuse.
Homme et chevaux couplés aspirent le brouillard,
Maigre et mouillé, dressant sa tête floconneuse,
Le chardon épineux se hérisse à l’écart.

Du courlis effrayé le dernier cri s’efface.
L’alouette en chantant rase encor les sillons.
À l’orient le ciel s’éclaire, et dans l’espace
Se dispersent au loin des gerbes de rayons :

C’est lui, c’est l’œil du jour, au-dessus du nuage,
Dont le sommet vermeil brille de rose et d’or.
Dans la terre le soc s’enfonce, et l’attelage,
Reprenant le sillon, va, vient, revient encor,

Le coutre fend le sol ; et la glèbe croulante,
Qu’avec effort soulève et retourne le fer,
Le fait luire au soleil et s’étale fumante :
On croit voir des vapeurs d’encens flotter dans l’air.

Et sur les pas de l’homme et des vaillantes bêtes
Voletant, sautillant, se pressent sans façon,
Convives emplumés, pie et bergeronnettes,
Becquetant à l’envi vers, larves à foison.

D’un agreste parfum la terre labourée
Enivre à pleins poumons le travailleur hâlé,
Des fraîcheurs de la nuit la plante saturée
Penche et fait resplendir son feuillage emperlé.

Avec chiens et pasteur au long manteau rustique
En bêlant sort du parc le troupeau de moutons,
À cette heure entouré de brume poétique ;
Il s’en va chercher l’herbe et la plante en boutons.

De la cour de la ferme avec leur petit pâtre
Lentes sortent aussi les vaches aux flancs roux :
D’un regard vigilant la maîtresse de l’âtre
Les suit jusqu’au détour du gros buisson de houx.

Autour du laboureur humble, dur et stoïque
De mâle activité tout se remplit aux champs ;
Tout forme sous le ciel comme un concert rustique,
Auquel s’unit son cœur plein de rêves touchants.

Travailleur pacifique, et que pourtant la guerre
Trouverait courageux et fort dans le combat,
S’il fallait pour les camps abandonner la terre
Et partager, un jour, la tâche du soldat,

Il se sent cher au Dieu dont la toute-puissance
Fait germer et mûrir les blés luxuriants,
Et donne au pain conquis par un labeur immense
Une saveur qui manque au pain des fainéants.

Midi, dont l’ardeur brûle et le sol et le chaume,
Embrase le zénith : tout a soif ; l’air en feu
Fait couler la sueur des chevaux et de l’homme.
L’œil cherche en vain au ciel un flocon ; tout est bleu.

La cloche du village aux lointaines volées,
Annonce au travailleur le moment du repos.
Il ramène à leur toit ses bêtes dételées,
Et la Grise lui prête encor son large dos.

Oh ! qu’ils ont bien gagné l’avoine et la provende,
Ces deux bons animaux au poitrail écumant,
Qui, prêts à tout effort que l’homme leur demande,
Labourent depuis l’aube infatigablement !

Et lui, le laboureur, de qui la gorge est sèche
Et l’estomac creusé par l’air frais du matin,
Quand de foin odorant il a rempli leur crèche,
À son tour d’apaiser et sa soif et sa faim.

Assise à ses côtés sa famille rayonne :
Sa compagne robuste et simple lui sourit,
Et ses enfants aimés lui font une couronne,
Comme à l’arbre ses fruits que le soleil mûrit.

Le repas terminé, le père fait un somme
Sur le foin. Sa moitié l’éveille doucement.
Un frais baiser d’enfant l’effleure aux tempes, comme
Le zéphyr, en juillet, rase le flot dormant.

Debout ! De retourner voici l’heure venue.
L’attelage repart et reprend ses travaux :
Dans le champ jusqu’au soir geint encor la charrue,
Et vont à plein collier tirant les bons chevaux.

Avec ses compagnons à la vaste encolure
L’homme, sans s’arrêter, marche du même pas,
De ce pas soutenu, calme et vaillante allure,
Dont va le paysan jusqu’au jour du trépas.

Enfin le soir descend, et dans la plaine blonde, 
Où la brise en été creusait des vagues d’or,
Luit la route et son rang d’ormes à tête ronde
Au loin, et du clocher le coq plus loin encor.

Les vaches font tinter leurs clochettes fêlées
Le long du chemin blanc, au bord d’herbe couvert.
Par degré le ciel prend des nuances voilées
D’améthyste, d’or pâle idéal et de vert.

L’air fraîchit ; à demain semailles et hersage.
Les poumons dilatés respirent ; la sueur
Du flanc des deux chevaux lassés du labourage
S’exhale et fait un nimbe à la blanche lueur.

Le laboureur revient, et brune au crépuscule
Sa silhouette, assise au flanc d’un des chevaux,
Sur l’horizon lointain et dont la ligne ondule
Grandit, mêlant son ombre à celle des coteaux,

Et puis tout lentement pâlit, s’éteint, s’efface.
Le croissant argenté paraît au firmament,
À son foyer joyeux l’homme a repris sa place ;
Il a rempli sa tâche, et son cœur est content.

Le travailleur sourit, plein de reconnaissance
Pour Dieu, qui lui donna tendre épouse, enfants blonds.
Il s’endort, et ce Dieu lui fait en espérance
Voir abonder aux champs de nouvelles moissons.

Charles Argentin • Les bœufs au labour | Les rendez-vous du vers






Les bœufs au labour




Charles Argentin





Hiop  !  hue  !  Avec  lenteur  ils  parcourent  le  champ. 
Appuyé  des  deux  poings  aux  mancherons,  le  torse 
Au  vent,  le  laboureur  hâte  leur  marche,  et  force 
Ses  bêtes,  car  déjà  le  ciel  flambe  au  couchant.

Et  la  brise  éparpille  un  peu  l’agreste  chant, 
Hue  !  hiop  !  Et  le  soc  rompt  du  sol  la  dure  écorce, 
Et  le  groupe  pensif  ahane,  et  plein  de  force, 
Couche  les  blocs  épais  qu’il  enlève  en  marchant.

Et  parmi  l’automnal  et  triste  crépuscule, 
Tandis  qu’à  l’occident  vermeil  l’Astre  recule, 
L’équipage  poursuit  son  auguste  travail ;

Car  grisé  par  l’odeur  de  la  terre  qu’il  hume, 
L’homme,  sur  la  charrue  inclinant  son  poitrail, 
Va,  sans  ouïr  l’appel  de  son  chaume  qui  fume.

vendredi 6 juin 2025

Marie Dauguet • La baraque | Les rendez-vous du vers






La baraque




Marie Dauguet





Ma baraque est au bord du bois,
Dans l’odeur âpre de la sève
Baignant son invisible toit,
Ma baraque est au bord du rêve.

Ma baraque luit aux beaux jours,
Comme un phare en la solitude ;
Elle est mon rempart et ma tour
Contre les vaines servitudes.

Les murs sont des blocs desséchés
Encadrant l’étroite croisée,
Les carreaux à moitié cachés
Par les fougères enlacées.

Le seuil est de granit rongé,
La porte sans pêne ni clenche,
Maison d’outlaw ou de berger,
Qu’on clôture d’un bout de branche.

Le sol rugueux, l’âtre noirci,
Que soutient un pavé difforme,
Où flambent, par les soirs transis,
Le genêt, l’épine et la corme ;

Pour couche, la peau d’un bélier
Qu’auprès du foyer tiède on traîne ;
Dans un coin, fruste mobilier,
Le banc et la huche de chêne.

Et pas un choc brutal de voix
Heurtant le silence des mousses,
Rien qu’un ruisseau fuyant sous bois
Parmi l’ombre qu’il éclabousse.

Le vol d’un geai, le cri dolent
D’un crapaud au fond d’une ornière
Ou, brusque, un lièvre détalant
De quelque sente coutumière.

Ni formules, ni mots appris
Et que débitent à la grosse
Les gens du monde aguerris ;
Ni dogmes vains, ni gaîté fausse.

Loin d’eux et loin d’elles surtout,
Loin des dupes et des coquins,
Dans ma baraque qu’il est doux
De vivre seul avec mon chien !