vendredi 11 octobre 2024

Achille Millien • Dans la lande | Les rendez-vous du vers






Dans la lande




Achille Millien





Le choucas enroué, de son cri tel qu'un râle
Attriste le terrain désert, inculte et plat,
Où rampe la lueur d'un soleil sans éclat
Qui, dans le brouillard gris, plaque un disque d'or pâle.

L'espace est vide. À l'aise, en sifflant, l'âpre chœur
Des vents d'automne court sur les ajoncs moroses  ;
Non, jamais plus qu'ici, le deuil profond des choses
N'a de mélancolie imprégné tout mon cœur !

Nul soc n'a fécondé cette terre muette,
Dont un maigre gazon verdit le flanc moussu…
Mes regards dans le vague ont soudain aperçu
Un être humain dressant sa longue silhouette.

L'homme en plein fond de ciel semble immense : alentour
Aucun arbuste, aucun n'égale sa stature ;
Il conduit un troupeau dans la morne pâture,
Seul au matin naissant, seul au déclin du jour.

À quoi rêve cette âme à tel sort asservie ?
Et qu'importe au pasteur en son isolement
Ton tumulte, univers ?.. Devant lui, brusquement
J'entrevois la grandeur, la pitié de la vie.

Son chien noir, hérissant le poil, jappe à l'écart,
Puis se tait en grognant sur un signe du maître,
Tandis que ses moutons s'interrompant de paître
Fixent sur moi leur vague et timide regard.

Immobile et drapé, lui, dans sa limousine.
— « Camarade, bonjour ! lui dis-je en m'approchant,
Quand donc arriverai-je au bout de votre champ
Je voudrais faire halte à la ferme voisine. »

D'un geste ample étendant le bras vers l'horizon
Et d'une étrange voix qui chevrote et qui pleure :
— «  Si vous marchez toujours devant vous plus d'une heure,
Vous trouverez là-bas l'étable et la maison.

Mais ne déviez pas, la solitude est grande :
À droite comme à gauche alors vous erreriez
À travers la bruyère et les genévriers,
Et la nuit sans abri vous prendrait dans la lande. »

samedi 5 octobre 2024

Joseph Rousse • Le bourg natal | Les rendez-vous du vers







Le bourg natal



Joseph Rousse




L'abeille se souvient de sa ruche natale ;
L'hirondelle à son nid revient chaque printemps ;
Mon âme, allons revoir et parcourir les champs
Où la vie eut pour nous sa beauté matinale.

J'aime notre vieux bourg au milieu des blés mûrs,
Bornés dans le lointain par la mer azurée ;
J'aime notre maison de sa treille entourée,
Avec les liserons qui grimpent à ses murs.

Voilà cette fenêtre où, les soirs de novembre,
J'entendais les pluviers passer dans le ciel gris..
Du haut de ce balcon quelquefois j'ai surpris
L'aurore souriant aux neiges de décembre.

Mon père s'asseyait au pied de ce jasmin ; 
Des loriots suspendaient leurs nids dans ce grand chêne ;
Mes sœurs, en se penchant au bord de la fontaine,
Agaçaient les échos de leur rire argentin.

Quand on cueillait les fruits, je me souviens encore
De la senteur des coings parfumant le grenier ;
Nos jeunes bras pliaient sous le poids d'un panier,
Et les pommes roulaient dans l'escalier sonore.

De riants souvenirs remplissent la maison :
Voici le grand foyer et ses chenêts antiques ;
C'est là qu'on nous disait des récits fantastiques,
Devant un feu de lande, au chant clair du grillon.

Le bourg a peu changé, mais le vieux presbytère
Est tombé sous les coups du stupide marteau,
Avec son beau portique ombragé d'un ormeau
Et qui semblait gardé par deux anges de pierre.

Dans ce chemin je vis un triomphe brillant,
Plus de cent bœufs, ornés de fleurs et de verdure,
Traînant un char couvert d'une riche tenture,
Qui portait un évêque au regard souriant.

Cette maison moussue à la porte ogivale
Est celle où, dans les soirs qui précèdent Noël,
En habits de théâtre et d'un ton solennel,
Les jeunes paysans jouaient la pastorale.

Noël à cette nuit je songe avec bonheur !
On voyait scintiller dans la campagne sombre
Et s'approcher du bourg des lanternes sans nombre,
Quand les cloches sonnaient la messe du Sauveur.

L'église est toujours pauvre et ses vieilles toitures
Tremblent au vent de mer sur des murs chancelants.
J'ai reconnu les saints, le christ aux pieds sanglants,
Les tableaux, les autels aux gothiques sculptures.

J'aurais aimé goûter un jour le vrai repos
Sous l'odorant fenouil, auprès de cette église ;
Mais on dit que les morts ont corrompu la brise,
Et dans un champ lointain on va porter leurs os.

vendredi 4 octobre 2024

Aurélien Ridon du Mont aux Aigles • Le fenil | Les rendez-vous du vers






« Le fenil », poème n°157 de mon ouvrage n°1. 206ème poème publiable. Poème en pentadécasyllabes, vers que j'ai maintes fois utilisés dans mon ouvrage n°1, se lisant sur un rythme de 7//8.
Poème « de jeunesse », ou disons plutôt poème des débuts de mes écrits agrestes. Rien d'exceptionnel ; je le publie ici par « variété », et pour dévoiler de quel suc était faite ma plume de cette époque (pas si lointaine, 2020).



Le fenil




Aurélien Ridon du Mont aux Aigles





Le fenil au frêle toit qu’arénèrent les lourdes neiges
Durant un hiver trop long a de la ruine le masque.
Solitaire en un bocage où le temps semble lent et flasque,
Il résonne à l’abandon de la campagne qui l’assiège.

Le foin n’y pourrit jamais, le gros vent le fouette à plein :
Un air au picard silence ayant sur les ondes des plaines
Diligenté des rafales aux accents de pluies vilaines,
Qu’excellemment ajouré, le fenil, bien que vieux, contient.

Un hameau, en d’autres temps, se trouvait sis à son endroit.
Sous quelque gratuite guerre, il disparut ; et sur ces terres,
Bien à peine on se figure un cours de vie complémentaire
À celui qui animait le village aux vignes et bois.

Bien rempli, l’été brûlant, il semble ainsi d’or déborder,
De panaches dégueuler : quelque sentiment d’assurance
Pour le repli des saisons, sorte de futur en gérance,
Quand il abrite la paille en plus du bon foin régulier.

Le fermier qui le garnit — alternativement, le vide —
Au cimetière, non loin, va poser parfois sa présence,
Mêler aux mémoires sèches sa pensée prise d’absences,
Puis reprendre ses travaux que rythment les éphémérides.

Fenil à l’humble l’apparence, écho des masures d’antan,
Parmi les glèbes, posé, et près des prés, prêt au fourrage,
Âme d’un plat paysage, en noble retrait du village,
J’associe à ton repos toute flânerie m’habitant.

jeudi 19 septembre 2024

René Darpentigny • Mon pays... | Les rendez-vous du vers






Mon pays...



René Darpentigny




C'est le rocher abrupt où la bruyère rose
Ourle les granits bleus d'un volant de satin,
C'est le sentier plein d'ombre et tout feutré de thym
Où le pas du rêveur plus mollement se pose.

C'est l'herbage alangui que la rivière arrose,
Le peuplier tremblant dans l'or clair du matin.
C'est la forêt profonde où le clocher lointain
Guide le voyageur perdu qui se repose.

C'est la vague mouvante où frissonnent les blés,
Les vieux moulins déserts près des biefs ensablés,
Les pommiers de l'enclos et leur corset de lierre.

Mon pays, c'est celui des souvenirs d'antan,
Des dentelles de fil, des dentelles de pierre,
Le plus beau des pays : le Pays d'Argentan.

mardi 17 septembre 2024

Émile du Tiers • Derniers sillons | Les rendez-vous du vers







Derniers sillons




Émile du Tiers





Encore deux derniers sillons,
Allons, mes bœufs, la soupe fume !
Le soleil n’a plus de rayons,
Et sur les prés descend la brume.
Pressons le pas... Aux horizons
Voici l’étoile qui s’allume.
Bientôt nous nous reposerons,
Moi, près de l’âtre où l’on s’enfume,
Et vous, devant les timbres ronds
Que le sainfoin nouveau parfume.
Courage, mes gaillards, allons !
La femme attend, la soupe fume…
Derniers sillons
Sont les moins longs.