Dans la lande
Achille Millien
Le choucas enroué, de son cri tel qu'un râle
Attriste le terrain désert, inculte et plat,
Où rampe la lueur d'un soleil sans éclat
Qui, dans le brouillard gris, plaque un disque d'or pâle.
L'espace est vide. À l'aise, en sifflant, l'âpre chœur
Des vents d'automne court sur les ajoncs moroses ;
Non, jamais plus qu'ici, le deuil profond des choses
N'a de mélancolie imprégné tout mon cœur !
Nul soc n'a fécondé cette terre muette,
Dont un maigre gazon verdit le flanc moussu…
Mes regards dans le vague ont soudain aperçu
Un être humain dressant sa longue silhouette.
L'homme en plein fond de ciel semble immense : alentour
Aucun arbuste, aucun n'égale sa stature ;
Il conduit un troupeau dans la morne pâture,
Seul au matin naissant, seul au déclin du jour.
À quoi rêve cette âme à tel sort asservie ?
Et qu'importe au pasteur en son isolement
Ton tumulte, univers ?.. Devant lui, brusquement
J'entrevois la grandeur, la pitié de la vie.
Son chien noir, hérissant le poil, jappe à l'écart,
Puis se tait en grognant sur un signe du maître,
Tandis que ses moutons s'interrompant de paître
Fixent sur moi leur vague et timide regard.
Immobile et drapé, lui, dans sa limousine.
— « Camarade, bonjour ! lui dis-je en m'approchant,
Quand donc arriverai-je au bout de votre champ
Je voudrais faire halte à la ferme voisine. »
D'un geste ample étendant le bras vers l'horizon
Et d'une étrange voix qui chevrote et qui pleure :
— « Si vous marchez toujours devant vous plus d'une heure,
Vous trouverez là-bas l'étable et la maison.
Mais ne déviez pas, la solitude est grande :
À droite comme à gauche alors vous erreriez
À travers la bruyère et les genévriers,
Et la nuit sans abri vous prendrait dans la lande. »
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