lundi 3 juin 2024

Charles Chalmette • La boucherie | Les rendez-vous du vers






Aurélien Ridon du Mont aux Aigles • Concoctage | Les rendez-vous du vers





« Concoctage », poème n°139 de mon ouvrage n°6. 698ème poème publiable.



Jean Le Sage • Aux abreuvoirs | Les rendez-vous du vers






Aux abreuvoirs




Jean Le Sage





L'été, le soir des jours brûlants,
Les bœufs vont des grasses prairies,
Tout le long des berges fleuries,
Calmes et doux, à pas très lents ;

Ils vont aux gués, les beaux bœufs blancs,
Dans les sources jamais taries
Rafraîchir leurs gorges meurtries,
Laver leurs gros fanons ballants.

Et quand, joyeux, dressant leur queue
Ils plongent dans cette onde bleue
Où flambe le couchant vermeil,

Il semble qu'en l'eau qui rougeoie,
De leur large narine, on voie
Tomber des gouttes de soleil.

Marie Dauguet • La vieille église | Les rendez-vous du vers






La vieille église




Marie Dauguet





Vieille église en prière au bord du firmament,
Je m’assieds à ton seuil, dont la douceur me tente.
Autour de moi plus rien qu’un étincellement
Soyeux ; la solitude, et cette odeur de menthe.

Tu domines l’espace où rêvent les vents bleus,
Les prés couleur de ciel, les seigles en javelle,
Le primitif village, avec ses toits rugueux,
Et le temps et mon cœur, toute la vie réelle.

La bourrache azurée, que le soleil étiole,
Du serpolet séché, des remous d’herbe folle,
Où des papillons bleus frissonnent enlacés,
Entourent ton portail et ses pavés cassés.

Sur des coquelicots, brusques taches vermeilles,
La molène élevant partout ses thyrses d’or,
S’alentit la chanson fluide des abeilles
Qui bercent le sommeil millénaire des morts.

Car on découvre encor, dont s’orne ta muraille,
Des dalles où l’on voit dormir des chevaliers,
Très dignes sous le casque et la cotte de maille,
Avec leur chien fidèle assoupi à leurs pieds.

Et, baume caressant la trace des cilices,
Parmi le grand silence, à ton porche arrêté,
Aujourd’hui le soupir frais d’un orgue est monté,
Jusqu’à l’âme, portant ses langueurs séductrices.

Quand je rêve à ton seuil, ayant soif, ayant faim
D’Idéal, mendiant que la misère écrase,
Comme il coule à pleins flots sur mes plaies en extase,
Le baume guérissant du Bon Samaritain.

Lud. Jan • La mort du taureau | Les rendez-vous du vers






La mort du taureau




Lud. Jan





C’est un taureau géant qu’on mène à l’abattoir.
On n’a plus peur du roi monstrueux des collines,
Car un cercle de fer traverse ses narines ;
Et les petits enfants suivent sur le trottoir.

Lui, superbe, du feu dans ses rouges prunelles,
Il marche en hésitant au murmure des voix,
Ne reconnaissant plus les rumeurs des grands bois
Ni les bleus horizons des landes maternelles.

Impassible toujours sous les coups insultants,
Sans se hâter jamais en sa massive allure,
Il secoue un instant sa peau rugueuse et dure,
Comme il faisait, l’été, quand il chassait les taons.

Alors, vers ses flancs roux tournant sa grosse tête
Et fouettant ses jarrets de sa queue au poil ras,
Il s’arrête, stupide, et regarde là-bas,
Prêt à fuir au lointain dans un bruit de tempête.

Hier, il courait ainsi par les prés du vallon.
Fauve, éperdu, farouche, il allait en aveugle ;
Et les pâtres disaient « Écoutez-le qui beugle ! »
Et fuyaient en voyant ce vivant tourbillon.

Cependant, par surprise, on lui mit une entrave
Et les troupeaux du bourg virent passer, honteux,
Ce roi que des bouviers conduisaient devant eux,
De leurs vils aiguillons excitant son pas grave.

C’est le soir. Le taureau traverse la cité.
Lui, le rêveur géant des vastes solitudes,
Il est dépaysé parmi les multitudes,
Où manquent à la fois l’air et la majesté.

On fait halte devant une porte qui roule 
C’est ici ! Mais soudain, l’œil sournois, et baissant
Par un suprême effort son cou rude et puissant,
Il se tourne en arrière et fait face à la foule.

Alors, des travailleurs aux bras sanglants et nus
L’entraînent brusquement sur le seuil redoutable,
D’où ne s’exhalent point les parfums de l’étable,
Mais les âcres odeurs de meurtres inconnus.

Devant lui, le boucher colossal se prépare 
Il lève sa massue et la fait tournoyer ;
Puis, d’un terrible coup qui le force à ployer,
Il le frappe à la tête avec un « han ! » barbare.

Un instant, le taureau, sur lui-même affaissé
Sous le poids accablant d’immobiles ténèbres,
Sent trembler ses jarrets et fléchir ses vertèbres
Mais, les deux bras tendus, l’homme s’est redressé.

D’un mouvement rythmique il frappe entre les cornes 
Le taureau tombe ; il râle ; et dans ses yeux éteints
Passe la vision des pacages lointains
Et des soleils couchants sur les landes sans bornes.

Encor, si tu mourais vaincu par un rival,
En un choc furieux, pour quelque vache brune,
O Roi, sous la clarté sereine de la lune,
Dans la bruyère en fleurs de ton landier natal !

Les oiseaux effrayés s’envoleraient des branches ;
La terre frémirait de douleur et d’effroi,
Et la Nature en deuil déroulerait sur toi
Le noir linceul des nuits semé de larmes blanches !