Les vieux « luns » à trois becs, à plusieurs étagères,
Étaient les seuls quinquets que nous avions jadis.
À leur faible lueur, le soir, nos ménagères
Préparaient le souper dans nos sombres logis.
Alors, pour les garnir, avec des mèches fines
Que l’on baignait dans l’huile, au fond de leur bassin,
Les pâtres, en gardant dans les sombres ravines,
Coupaient de longs ajoncs qu’ils pelaient brin par brin.
Nos « luns » semblaient parler des temps préhistoriques :
Sans doute ils avaient vu nos aïeux autrefois
S’embrasser, au retour des luttes héroïques,
Qu’ils devaient soutenir sous le drapeau des rois.
Nos « luns » disaient surtout le labeur de nos pères,
La dîme, la corvée et la huche sans pain,
Leur profonde ignorance, ainsi que leurs misères,
Le brigandage armé par les hivers sans fin.
Nos « luns » disaient aussi les lointaines veillées.
Les râteaux que faisait quelque brave bouvier,
Le rouet qui tournait, les grosses quenouillées,
Les châtaignes que l’on pelait à plein panier !
Nos « luns » disaient aussi les contes, les légendes,
Les cercueils qui volaient, le drac, les loups-garous,
L’homme noir qui hurlait, en courant dans les brandes,
Les voix qu’on entendait dans le clos de chez nous.
Les « luns » disaient aussi que dans les nuits funèbres,
Où, tandis que des gens disaient De Profundis,
De leur faible lueur éclairant les ténèbres,
Veillaient les trépassés, tous ceux qui sont partis !
Les « luns » disaient encor la table bien garnie,
Les soirs de la Noël, pour faire réveillon,
Pendant que dans le vent, dans la nuit infinie.
Une cloche égrenait son lointain carillon.
Nos « luns » parlent encor des soirs de mariage
Où, devant un bon lit, au fond de sa maison,
Pour la première fois, Madelon, fille sage,
Sous les yeux d’un époux a défait son jupon.
Les « luns » parlent encor de quelques rares fêtes,
Des soirs de mardi gras et des soirs de moissons,
Des beaux jours de printemps, où garçons et fillettes
Battent joyeusement le miel dans les chaudrons.
À présent quand je vois, au fond d’une chaumière,
Clignoter au plafond un de ces « luns » cornus,
Il me semble toujours que sa faible lumière
Est là qui veille encor des gens qui ne sont plus !