dimanche 4 mai 2025

Paul Barbier • La batteuse | Les rendez-vous du vers






La batteuse




Paul Barbier





L’aube, de son berceau de roses empourprées,
Ouvre ses beaux regards humides et tremblants
Et jette à pleines mains ses paillettes dorées
Dans le ciel pur semé de légers flocons blancs.
À peine réveillés, les charretiers superbes
Mènent à l’abreuvoir leurs chevaux de labour ;
Et là-bas la batteuse, en attendant les gerbes,
Montre ses dents de fer dans un coin de la cour.
— Allons ! dit le fermier, qui, déjà, voit en rêve
Le grain d’or de son blé se changer en argent ;
À l’ouvrage ! Voici que le soleil se lève.
On aura du bon vin si l’on est diligent ! —
Monstre noir, vomissant à longs flots la fumée,
La puissante machine est à l’œuvre déjà ;
Elle jette dans l’air sa vapeur enflammée
Et siffle en un instant toute la ferme est là.
On monte sur le tas des gerbes qui surplombent.
Chacun est à son poste ; autre coup de sifflet :
Tout branle, tout bruit ; les lourdes gerbes tombent,
Passent de mains en mains comme un léger palet,
Et vont en s’engouffrant dans la batteuse avide.
L’on va, l’on vient, l’on court, l’on danse comme au bal.
― Courage ! Allons ! ce soir, la grange sera vide !
― Attrape ! ― Gare ! ― à toi ! ― C’est un bruit infernal !
Couvrant les travailleurs acharnés à l’ouvrage,
Une poussière blonde au doux reflet vermeil
S’échappe en tourbillon et s’élève en nuage
Dans le ciel radieux où sourit le soleil.
De temps en temps, on voit venir la ménagère,
Sa cruche sous le bras, accorte et souriant :
Tous boivent à la ronde, et, l’âme plus légère,
Reviennent à l’effort de leur labeur vaillant.
Cependant, sans tarir, des flancs de la batteuse
Le grain pur et luisant ruisselle à larges flots,
Et le grenier s’emplit de sacs lourds, charge heureuse
Que les forts paysans apportent sur leur dos.
La nuit tombe déjà sur les plaines désertes :
C’est l’heure du repos et l’on entend toujours
Au-dessus de la ferme, aux fenêtres ouvertes,
Les cris tumultueux et les ronflements sourds.
À la fin, tout se tait entre les portes closes
Et rien ne monte plus au loin sous le ciel pur
Que l’aboiement des chiens inquiets ou moroses
Qui hurlent à la lune en marche dans l’azur !

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