dimanche 1 décembre 2024

Blanche Lamontagne • L’étable | Les rendez-vous du vers






L'étable




Blanche Lamontagne





 — « C’est l’heure de donner à manger à nos bêtes »,
Dit le maître. Aussitôt on s’est mis au travail.
L’un donne de la paille au plus petit bétail
Dont on voit s’agiter, au fond, les jeunes têtes.

Puis un autre est allé chercher, sur le fenil,
La ration de foin vert, et sentant la plaine,
Pour la vache au poil roux, l’agnelle à longue laine,
Et la vieille jument dont le poulain hennit.

Alors, ces bons chevaux, aux fortes encolures,
Et les bœufs somnolents dont les yeux semblent verts,
Lèvent leur tête large, aux naseaux entr’ouverts,
Et les chaînes d’acier roulent sur les barrures !...

Ensemble, on les entend ruminer doucement.
Ils mangent. Leur bonheur a réjoui l’étable.
La toile d’araignée, au plafond est semblable
Aux cordes que l’on voit aux mâts d’un bâtiment.

De ci, de là, l’on voit paraître entre les crèches,
Un front rouge et des yeux d’un bleu resplendissant :
C’est la vache de race, et le cheval pur sang
Dont le regard s’emplit d’un désir d’herbes fraîches !

Maintenant le troupeau s’apaise. Un air de paix
S’étend partout, suivi de l’ombre souveraine ;
Et les bêtes, l’œil fixe et limpide, reprennent
Ce rêve intérieur qui ne finit jamais !...

Paul Hauchecorne • Le brassage | Les rendez-vous du vers






samedi 30 novembre 2024

Jules Mayor • Poules | Les rendez-vous du vers






Poules




Jules Mayor





Poule, ma bonne campagnarde
Qui détestes notre cité,
Petits poulets, grasses poulardes
Picorant au soleil d’été,

Poule grise au pesant derrière,
Un gloussement est votre chant,
En vos habits de roturière,
Vous êtes bien filles des champs !

Humbles glaneuses de la glèbe,
Grains comme vers sont un régal.
Ainsi le pauvre, ainsi la plèbe
D’un rien font un repas frugal.

Et pourtant, poules symboliques,
Il fut un temps moins lourd d’impôts
Où tout un peuple bucolique
Rêvait de vous mettre en son pot !

Présagez-vous, bêtes dociles,
Ce triste sort sans quelque effroi,
En suivant la queue en faucille
De votre coq époux et roi ?

Vous grattez pour votre famille,
Ouvrières de nos fermiers,
Le sol où l’insecte fourmille...
Redressez-vous sur vos fumiers !

Grande est votre vertu dernière !
Pour ce bon plat qui n’est pas neuf
— O première des cuisinières ! —
Qui, mieux que vous, sait faire un œuf ?

jeudi 28 novembre 2024

Édouard Michaud • Veilleurs | Les rendez-vous du vers






Veilleurs




Édouard Michaud





Le ciel s’est découvert et le vent souffle immense,
Heurtant les châtaigniers dont sonnent les flancs creux,
Et les pommiers givrés qui se choquent entre eux
Sont tels qu’on peut les voir quand le printemps commence.

La lune ronde plane et c’est l’enchantement,
Le long des rus captifs d’éblouissantes gaines,
De lys fanés un peu vers les trous de fontaines,
Jusqu’au nocturne bleu de l’horizon dormant.

Soudain du coteau proche une voix mâle huche
Et le cristal de l’air s’en brise. Elle promet
Le coup de cidre et le bon coin où l’on se met
Près de l’âtre chantant des ronrons de la bûche.

Elle part de veilleurs en marche pour le bourg
Dans la bise obstinée à leurs blouses de toile,
Et qui, jugeant de l’heure au frisson de l’étoile,
Rentreront, un coq fou jetant son appel court.

Ils vont, leur pas se feutre et leur gosier loquace
Tente d’anciens couplets malgré le gel plus fort.
Le bourg s’offre et tant mieux si le vent qui se tord
Geint d’un portail mal clos que son humeur tracasse.

L’accueil sera meilleur du feu vermeil, meilleur
Sera le cidre bu sur le marron qui craque,
Et l’on se serrera comme harengs en caque
À savoir le froid vif pas très loin, bien qu’ailleurs.

Et l’on aura, surcroît qui seul les meut en somme,
Avec l’évocateur du drac, des lébèrous,
Le conteur dont l’œil rit sous un arc de poils roux,
Mal fait pour le dormeur trop épris de son somme,

Les filles, profils purs, regards nets, cheveux blonds,
Que, furtif, l’on saisit à leurs hanches précoces,
En attendant le jour tumultueux des noces
Où l’on viendra les prendre au son des violons.

Henri Pauthier • Les maïs | Les rendez-vous du vers






Les maïs




Henri Pauthier





Les blonds maïs, sous les baisers des brises folles,
Laissent se dérouler aux champs de la Comté
Leurs feuillages légers comme des banderolles,
Et chantent doucement sous l'azur de l'été.

Des faux, s'entrechoquant avec un bruit d'armures,
Servent d'épouvantail aux oisillons du ciel
Dont le peuple babille autour des grappes mûres,
Et picore les grains sucrés comme le miel.

Juillet verse aux maïs sa lumière et sa joie,
Et les épis, vêtus d'or pâle aux frissons clairs,
Luisent sous leurs fourreaux d'émeraude et de soie,
Et dans les feux du soir dardent de blonds éclairs.

Chantez, ô belles du pays,
Chantez les grappes du maïs.

Mais bientôt, à travers les tiges d'or rouillées,
Comme les blonds essaims dans les espaliers,
Les filles, avec des rires éparpillées,
Moissonnent les épis dans leurs grands tabliers ;

Et pendant tout l'automne, ils balancent leurs grappes,
Pendus sous les plafonds en chapelets serrés ;
Vers eux la flamme rousse élargissant ses nappes
Mêle les sons du bronze à leurs reflets dorés ;

Alors on les égrène ; et, les soirs de décembre,
Les femmes, babillant à l'entour du brasier,
Ensemble sous leurs doigts font pleuvoir les grains d'ambre
Tintant comme la grêle au fond des vans d'osier ;

Durant des mois entiers broyant la graine ronde
Les moulins font entendre au vallon leurs tics-tacs,
Et le fleuve odorant de la farine blonde
Ruisselle des tamis dans la gueule des sacs ;

Puis, sur l'âtre penchant leurs figures rougeaudes,
Les femmes de Comté versent en longs filets
Le lait sur les maïs et le parfum des gaudes,
Comme un rustique encens, s'exhale des chalets ;

Les marmots, à travers l'azur de la fumée
Qui s'empourpre parfois d'un long frisson vermeil,
Regardent s'épaissir la pâte parfumée
Où semble rire encore un rayon de soleil.

Chantez, ô belles du pays,
Chantez les grappes du maïs.

Gaudes, à votre nom tout le passé lointain
Dans mon cœur rajeuni se réveille et murmure,
Comme éclate, sous la fraîcheur de la ramure,
Une aubade d'oiseaux à l'appel du matin,

Tandis que votre odeur vient hanter mes narines.
Il me semble aspirer encore à pleins poumons
Cet air vierge qui souffle à torrents sur nos monts,
Trempé dans le parfum énivrant des résines.

Souvenirs du village ! O coq du vieux clocher
S'éveillant sous l'azur au chant des hirondelles,
Blancs vergers qu'éventaient les brises de leurs ailes,
Musique des essaims à l'entour du rucher ;

Prés où s'égrènent les clochettes argentines,
Nuit des granges, où sur les foins amoncelés,
J'écoutais palpiter le souffle chaud des blés,
Pâle, et le cœur ému de frayeurs enfantines ;

Vers les champs de maïs ondoyant sous les cieux
Bien souvent ma pensée en arrière regarde ;
Exilé du pays natal, ma lèvre garde
La rustique saveur du mets de nos aïeux ;

Auprès des montagnards comtois, aux longues blaudes,
Au foyer déserté j'irai m'asseoir encor,
Voir le maïs qui bout rire en fossettes d'or,
En chantant son ronron, dans la marmite aux gaudes.