Les maïs
Henri Pauthier
Les blonds maïs, sous les baisers des brises folles,
Laissent se dérouler aux champs de la Comté
Leurs feuillages légers comme des banderolles,
Et chantent doucement sous l'azur de l'été.
Des faux, s'entrechoquant avec un bruit d'armures,
Servent d'épouvantail aux oisillons du ciel
Dont le peuple babille autour des grappes mûres,
Et picore les grains sucrés comme le miel.
Juillet verse aux maïs sa lumière et sa joie,
Et les épis, vêtus d'or pâle aux frissons clairs,
Luisent sous leurs fourreaux d'émeraude et de soie,
Et dans les feux du soir dardent de blonds éclairs.
Chantez, ô belles du pays,
Chantez les grappes du maïs.
Mais bientôt, à travers les tiges d'or rouillées,
Comme les blonds essaims dans les espaliers,
Les filles, avec des rires éparpillées,
Moissonnent les épis dans leurs grands tabliers ;
Et pendant tout l'automne, ils balancent leurs grappes,
Pendus sous les plafonds en chapelets serrés ;
Vers eux la flamme rousse élargissant ses nappes
Mêle les sons du bronze à leurs reflets dorés ;
Alors on les égrène ; et, les soirs de décembre,
Les femmes, babillant à l'entour du brasier,
Ensemble sous leurs doigts font pleuvoir les grains d'ambre
Tintant comme la grêle au fond des vans d'osier ;
Durant des mois entiers broyant la graine ronde
Les moulins font entendre au vallon leurs tics-tacs,
Et le fleuve odorant de la farine blonde
Ruisselle des tamis dans la gueule des sacs ;
Puis, sur l'âtre penchant leurs figures rougeaudes,
Les femmes de Comté versent en longs filets
Le lait sur les maïs et le parfum des gaudes,
Comme un rustique encens, s'exhale des chalets ;
Les marmots, à travers l'azur de la fumée
Qui s'empourpre parfois d'un long frisson vermeil,
Regardent s'épaissir la pâte parfumée
Où semble rire encore un rayon de soleil.
Chantez, ô belles du pays,
Chantez les grappes du maïs.
Gaudes, à votre nom tout le passé lointain
Dans mon cœur rajeuni se réveille et murmure,
Comme éclate, sous la fraîcheur de la ramure,
Une aubade d'oiseaux à l'appel du matin,
Tandis que votre odeur vient hanter mes narines.
Il me semble aspirer encore à pleins poumons
Cet air vierge qui souffle à torrents sur nos monts,
Trempé dans le parfum énivrant des résines.
Souvenirs du village ! O coq du vieux clocher
S'éveillant sous l'azur au chant des hirondelles,
Blancs vergers qu'éventaient les brises de leurs ailes,
Musique des essaims à l'entour du rucher ;
Prés où s'égrènent les clochettes argentines,
Nuit des granges, où sur les foins amoncelés,
J'écoutais palpiter le souffle chaud des blés,
Pâle, et le cœur ému de frayeurs enfantines ;
Vers les champs de maïs ondoyant sous les cieux
Bien souvent ma pensée en arrière regarde ;
Exilé du pays natal, ma lèvre garde
La rustique saveur du mets de nos aïeux ;
Auprès des montagnards comtois, aux longues blaudes,
Au foyer déserté j'irai m'asseoir encor,
Voir le maïs qui bout rire en fossettes d'or,
En chantant son ronron, dans la marmite aux gaudes.