mardi 30 septembre 2025

Édouard Michaud • Rus | Les rendez-vous du vers






Rus




Édouard Michaud





J’adore tout des bourgs, tout jusqu’à l’atmosphère.
On arrive content du trajet qu’on dût faire
À travers des chemins, des halliers et des bois
Et c’est un soir pieux de septembre et les voix
S’aggravent à frapper l’air vespéral qui vibre.
On courut un grand jour, fiers de se sentir libres,
Parmi le soleil tendre et le vent qui passait,
Et l’on rentre et l’on guigne aux vitres le corset
Craquant et plantureux des appas de l’hôtesse.
Et c’est alors, charmante et fine politesse,
L’accueil des purs relents qui vont de seuil en seuil :
Le bois qui flambe et met au trou de l’huis son œil
Et laisse fuir l’encens faible de sa fumée ;
Le lard, régal prochain de la bande affamée,
Qui crépite et qui cuit dans la poêle aux grands bords ;
De l’ancestral chaudron plat sur ses trois pieds tors
Et qu’on frotte de couenne avant que d’y répandre
La pâte lourde au teint décoloré de cendre,
Un parfum exhalé de massif galétou ;
Et près du bouillon tiède où trempa tout un chou,
L’odeur fraîche du pain qu’une main nette coupe.
Et l’on pourra dehors manger son ample soupe
En respirant, feuillage et roses mélangés,
L’âme errante qui sort des agrestes vergers.

Mathilde de Marliave • Le maïs | Les rendez-vous du vers






Le maïs




Mathilde de Marliave





Sous le ciel pâle et gris, tout le jour, dans la plaine,
Les paysans courbés, avec des gestes lents,
Ont chargé le maïs sur les chariots pesants
Que conduisent les bœufs vers la ferme prochaine.

Les tiges que l’autan flétrit de son haleine
Forment près des logis de lourds entassements,
Et quand le brouillard traîne au bord des toits fumants,
Le métayer, la nuit, tord l’épi dans sa gaine.

Les rudes travailleurs s’assemblent tous les soirs,
Sous les hangars ouverts d’où l’on voit les étoiles,
Le fruit d’ambre s’amasse au fond des vastes toiles.

L’appel des amoureux emplit les chemins noirs,
Et chaque lampe au loin semble un œil qui surveille
La campagne endormie où l’amour se réveille.

lundi 1 septembre 2025

Louis Mercier • Le village de Beure | Les rendez-vous du vers






Le village de Beure




Louis Mercier





Près des rives du Doubs est un heureux village
Étalant au soleil ses vignes, ses pourpris !
Beure, tel est le nom de cet Éden sauvage
Pour qui toujours mon cœur d’un même charme est pris.

Nulle part on ne voit les fermes aussi gaies
Montrant leurs toits de brique à travers les pruniers,
Plus de fleurs aux rameaux, plus d’oiseaux dans les haies,
Lorsque brillent d’Avril les rayons printaniers.

Dans ses prés odorants, par ses rochers arides,
J’ai couru, jeune enfant — et des petits bergers
Combien j’aimais les jeux, les courses intrépides :
Avec eux j’ai pillé ses splendides vergers.

À la Saint Jean d’Été, qu’il m’est doux, un dimanche,
De revoir ce vallon aux souvenirs si chers :
Pour moi qu’elle a d’attraits, sous le noyer qui penche,
Notre pauvre chaumière avec ses pampres verts.

Au détour du chemin, tout ému, je m’arrête
Et contemple un instant les rochers d’Arguel
Crénelant l’horizon de leur bleuâtre crête
Et comme un fort abrupt s’étageant dans le Ciel.

Je contemple le Doubs errant par les prairies,
Ainsi qu’un serpent vert, en zig-zag ondulant ;
Ou bien, autour de moi, les blanches gypseries
Et notre vieille église au dôme de fer blanc :

Je contemple surtout du joli Bout-du-Monde
La cascade égrenant ses humides saphirs :
Les soirs d’été, l’on dit qu’une fée en son onde
Vient livrer son beau corps aux baisers des zéphirs :

Mais on m’a vu venir — et ma mère attentive
Vite du buffet tire une nappe où se sent
Une suave odeur d’iris et de lessive,
Et mon père à la cave en sifflottant descend.

Grand’mère, sommeillant dans son fauteuil de chêne,
Se réveille en sursaut sous mon bruyant baiser,
Et, tandis que Médor aboie à perdre haleine,
Le chat sur mes genoux, leste, vient se poser.

Voilà bien la grand’ salle aux poutres décorées
De faulx et de râteaux, de grappes de maïs :
Sur les murs je retrouve, images vénérées,
Ferréol et Ferjeux les patrons du pays.

Qu’il est bon le dîner dans la faïence peinte
De fantastiques fleurs ou d’un coq jaune et bleu ;
Le vin de Mercurot pétille dans la pinte
Et dans les verres coule ardent comme du feu.

C’est d’abord le pain bis avec son goût d’amande.
Le bresi rouge et sec qui fait boire à grands coups.
L’omelette d’or, blonde ainsi qu’une flamande,
Et la tranche de lard qui tremble sur les choux.

De bon cœur rit mon père et, sa gaîté, c’est signe
Que ses grands bœufs vont bien et que ses blés sont beaux,
Que les foins ont donné, que superbe est la vigne :
Pourtant d’avance il craint... de manquer de tonneaux.

Fraîche comme son nom, ma cousine Rosette,
À vêpres se rendant, vient nous dire bonjour :
On dirait de Muller l’espiègle Mionette :
Vraiment elle devient plus belle chaque jour.

Ma sœur en souriant au milieu de nous pose
Un immense gâteau, des fraises de Fontain ;
Et voyant qu’à chanter déjà l’on se dispose,
Mon père apporte encor un flacon de vieux vin.

dimanche 31 août 2025

Marie Dauguet • Le voyage | Les rendez-vous du vers






Ce poème, malgré la monotonie que peuvent évoquer ses rimes suivies, est à mon sens l’un des meilleurs de Marie Dauguet. Il rappelle le grand poème Le roulier d’Édouard Michaud — ou inversement. Ces poèmes « à déroulement » et profondément rustiques sont sans doute ce qui s’est fait de plus noble, de plus hautain dans l’histoire de la poésie.
Mon enregistrement ici n’est pas au sommet ; les poèmes de Marie Dauguet, Charles Argentin et Emmanuel Vitte, furent parmi les premiers desquels je fis  des enregistrements, et dans celui-ci, je n’avais pas encor pleinement adopté la rythmique si propre à la plupart des poésies audio que j’ai produites par la suite.





Le voyage




Marie Dauguet





Je me souviens du vieux cheval trottant sans trève
Tout efflanqué dans ses harnais, cheval de rêve
Qui, dans un cliquetis de ferraille et d’écrous
Et de grelots, heurtait du sabot les cailloux.

Voici les départs par les fraîches matinées,
Le grand silence des plaines embruinées ;
En marge des chemins humides, la luisante
Floraison des panais desséchés et qu’argente

La rosée, et voici, avec leurs cimetières
Aux murs blancs, l’abreuvoir et l’échoppe où l’on ferre,
Les villages, les puits dormants sous les noyers
Et le purin d’or fin qui cercle les fumiers.

Maléfique, le tourne-bride solitaire,
Lépreux et vermoulu, assis près d’une ornière,
Arbore dans le vent quelque branche de houx.
Je me souviens de ce cliquetis des écrous,

Du vieux cheval étique et de son ombre folle
Dansant sur le chemin que le soleil rissole,
Des côtes qu’on montait à pied quand il soufflait
Par trop. Je vois encor comment se déroulait

La grand’route poussiéreuse de Provenchère
Ou de Saint-Blin, les peupliers dans la lumière
Défilant au cri des essieux qui vous endort
Et dessinant au bleu du ciel leurs flèches d’or.

Une charrue ouvre à plein soc la terre forte
Sous l’élan des chevaux vigoureux qui l’emportent
Et l’homme, un grand Lorrain, au bord du firmament,
Fouaillant son attelage, superbement

Se dresse. Il est midi, on s’arrête à l’auberge,
La cuisine est obscure avec son lit de serge,
Sa grande cheminée et ses landiers noircis
Où, surveillant le pot, un grand-père est assis.

Les gens étant aux champs, l’omelette à la crème
On la bat et la soupe on la trempe soi-même
Et l’on trouve suave en des verres épais
Qu’on rince sur l’évier, un gros vin violet.

Et puis c’était le soir, la paix comme extatique
Des forêts en Octobre et le mélancolique
Encens qu’exhalaient vers les cœurs endoloris
Les fossés vaseux et les champignons pourris.

Les hêtres s’effeuillaient. Toute une âme sauvage
Respirait, et des mousses et des saxifrages
Et des taillis tout dégouttants d’humidité
Montait aux lèvres une odeur de nudité.

Le vieux cheval trottait ; les chevrotants fantômes
Des brebis nous croisaient abandonnant les chaumes
Mouillés et que la lune incertaine noyait ;
Des seuils entrebâillés dans la nuit flamboyaient,

Et c’est le cœur serré que l’on attendait l’heure
D’apercevoir au loin la très vieille demeure,
De se blottir en la douceur, oiseaux errants,
Du tiède nid qu’avaient tressé les grands-parents.

jeudi 21 août 2025

Paul Barbier • La moisson est faite | Les rendez-vous du vers






La batteuse




Paul Barbier





Les guérets sont à nu. Les blés aux fétus d’or,
L’orge aux cils ondoyants, l’avoine aux longues franges,
Tout, depuis quelques jours, est rentré dans les granges ;
Seule, la fleur d’argent des blés-noirs reste encor.

Peut-être aperçoit-on, dans les campagnes vides,
Portant de hauts bouquets sur leur faîte penchants, 
Quelques chars paresseux qui reviennent des champs, 
Si chargés qu’on dirait de vastes pyramides ;

Mais ce sont les derniers. Les glaneuses s’en vont, 
En chœur, par les sentiers bordés de folles herbes,
Ramasser, çà et là, l’épi tombé des gerbes :
On les voit se baisser, puis relever le front.

Et la paix, large, étend ses ailes dans l’air pur
Troublé par le seul bruit des actives batteuses,
Cependant que l’œil voit sur les fermes heureuses
Des vols de pigeons blancs s’égrener dans l’azur.

mardi 1 juillet 2025

Édouard Michaud • Là-bas | Les rendez-vous du vers






Là-bas




Édouard Michaud





Pendant que la cité torrentueuse et grise
S’apaise par degrés et se dore de soir,
Et pendant qu’aux quartiers d’usine l’on peut voir
L’âpre torche d’un four crépiter dans la brise ;

Je pense au bourg lointain si souvent visité
Par mon âme qu’effleure un regret nostalgique
Qu’il me semble présent avec sa tour tragique
Et telle qu’un géant dans sa marche arrêté.

Là-bas ! — Hélas ! là-bas, c’est l’heure où tinte encore,
Se mêlant à l’appel de l’angélus léger,
Sous les coups d’un marteau qui s’exalte à forger,
Le double cap chantant de l’enclume sonore.

Le soleil descendu cisèle à l’horizon
Deux nuages étroits et flottants comme un voile,
Une extase est au ciel déjà pers — et l’étoile
Vient y mettre une fleur qui serait un frisson.

Le croissant d’argent fin se précise et se double
Sur l’étang net qui songe entre ses longs roseaux.
Plus de pas qui s’attarde et les derniers oiseaux
Se hâtent vers les bois dont le contour se trouble.

Un meuglement de bœuf monte d’un chemin creux.
C’est un troupeau rentré du pacage et qui trempe
Au fil frais du ru proche où de la pourpre rampe
Ses flancs massifs et blonds et ses mufles ocreux.

Les champs déserts s’emplissent d’ombre. L’aile lasse,
Le vent frôle la branche au-dessus du vieux mur.
Et les subtils parfums de l’herbe et du blé mûr
S’imprègnent d’une odeur d’eau vive quand il passe.

Mais les seuils sont peuplés. On cause. Le jour fut
Dur à tous et l’on vient distraire un peu sa peine ;
Et l’on dit, à propos de la moisson prochaine —
Le gai ménétrier qu’on assied sur un fût,

Les ripailles après le travail des faucilles,
— Et l’on entend friser, cristal pur dans l’air pur,
D’un groupe qui décroît, de plus en plus obscur,
Le rire souple et musical des jeunes filles.

lundi 30 juin 2025

Léon Boyer • Le lièvre | Les rendez-vous du vers






Le lièvre




Léon Boyer





Au dessus des menus brins verts
Des seigles brillants de rosée,
Pointe, en l’azur des matins clairs
Un bout noir d’oreille dressée.

Et, soudain, souple, queue au vent,
Reins fauves arqués par secousses,
Surgit un lièvre, sautelant
Sur ses pattes maigres et rousses.

Il va, flaire, trotte, accroupit
Son dos bourru qu’ombrent des taches,
Parfume au thym qui refleurit
Les poils lustrés de ses moustaches,

Puis, tout à coup, preste et cornu,
Cabré dans le vent bleu qui passe,
Écoute un bruit furtif, venu
D’on ne sait quel recoin d’espace…

Henry Maystre • Les foins | Les rendez-vous du vers







Les foins




Henry Maystre





À Saint-Georges, à fin juillet,
Tous les faucheurs sont en campagne.
Dans les chemins de la montagne,
Sous les arceaux de la forêt,
Strident et sec claque le fouet
Que le cri du maître accompagne.

Genoux pliés, tête en avant,
Accrochant leurs sabots aux pierres,
À travers rocs et fondrières,
Les chevaux montent, bien souvent
Jusqu’aux sommets nus où le vent
Court au-dessus des sapinières.

Là le faucheur, les pieds ouverts,
Scande sa marche machinale.
La faux, d’une mesure égale,
Oscille, en jetant des éclairs,
Tandis que les insectes verts
Tombent avec l’herbe natale.

La faneuse vient. Son chapeau,
À coups pressés, à grands coups d’aile
Frappe l’air vif qui le querelle.
Moulant comme dans un drapeau
Son corps, le souffle du plateau
Tord ses vêtements autour d’elle.

Au râteau le blanc liseron
Enchevêtre fleurs et liane.
L’abeille à l’aile diaphane
Suit les fleurs au tas frais et rond
D’où la faneuse d’un coup prompt
Rejette l’acre gentiane.

— Eh ! là bas ! Amenez le char !
La fauche est finie et bien faite :
Du grillon on voit la retraite.
Mais il fait soif ! — Sous un fayard
Le vin de fruit est à l’écart.
Le faucheurs vont lui faire fête,

Les faneuses qu’attire peu
L’eau de leurs cruches échauffées,
La joue ardente, décoiffées,
Voudraient bien sur leur lèvre en feu
Presser la coupe du lac bleu.
Il est passé le temps des fées !

Les rameaux d’honneur sont plantés.
On part ; on dit : la charge est belle !
Comme un oiseau qui traîne l’aile
Par les chemins, des deux côtés
Des larges brancards cahotés,
Le foin jusqu’à terre ruisselle.

Mais au front des jeunes faucheurs
Il pleut des étoiles. Mystère…
Sur le char, là-haut, loin de terre,
Les faneuses, ces tendres cœurs,
Blottissant leur troupe légère, 
Sur les garçons jettent des fleurs.

jeudi 12 juin 2025

Robert Milliat • Retour | Les rendez-vous du vers






Retour




Robert Milliat





Sous ses arbres rouillés la maison me regarde
Comme une bonne aïeule au retour de l’enfant,
Et sur le mur ridé dont le front se lézarde
La vigne vierge avant de mourir se défend.

Je vais franchir le seuil et fouler cette pierre,
Sur laquelle mes pas résonnèrent souvent,
En éveillant des bruits défunts... le cimetière
De mes folles terreurs quand j’avais peur du vent.

Je parcourrai les corridors pleins de mystère
Où les échos surpris reconnaîtront ma voix
Et je me griserai de cette odeur amère
Faite de parfums morts de pomme et d’eau de noix.

Mais au lieu de rentrer, je souris et je passe.
À quoi bon revenir vers ce qu’on a quitté ?
Tous les objets aimés sont à la même place
Et leur âme d’hier est dans l’éternité.

Marie Dauguet • Sous le pin musical | Les rendez-vous du vers






Sous le pin musical




Marie Dauguet





Sous le pin musical, pendant que ton troupeau
Broute la sauge humide et tendre au bord de l’eau,
Que l’agneau ramené vers sa mère qui bêle,
S’attache avidement à sa lourde mamelle,

Sieds-toi, berger. Le soir empourpre le coteau
Et suspend nos labeurs. Prends ta musette et mêle
Aux murmures du pin, dont l’ombre bleue chancelle,
À l’appel trébuchant et clair du cailleteau,

Ta chanson. Qu’elle exalte, en un mode archaïque,
La sereine beauté de l’heure bucolique
Et la douceur de vivre et la bonté des dieux,

Tandis que dans la plaine où notre œil se repose,
Descendu de son char aux fulgurants essieux,
Le soleil las s’endort sur la javelle rose.

mercredi 11 juin 2025

Joseph Rousse • La fuie du Bois-Roux | Les rendez-vous du vers






La fuie du Bois-Roux




Joseph Rousse





Par un jour pluvieux, j’errais sur des rivages
Où le vent m’apportait le parfum des œillets.
Tout à coup l’arc-en-ciel parut dans les nuages
Éclairant l’horizon de ses brillants reflets.

Il semblait couronner une tour solitaire
Dominant la presqu’île aride et sans coteaux,
Vieux colombier aux murs envahis par le lierre,
Qui sert pour diriger les marins sur les eaux.

À sa porte jadis étaient des armoiries,
Mais en vain l’antiquaire en cherche les couleurs.
Le peuple les brisa comme les seigneuries ;
Les murs épais ont seuls défié ses fureurs.

De hardis passereaux nichent dans les cellules.
Les pigeons sont partis et ne reviendront plus.
Les ravenelles d’or, les blanches campanules
Ont poussé sur le toit, dans les gazons touffus.

J’aime voir cette fuie au sommet du village,
Près d’un sombre bouquet de sapins murmurants,
Comme un phare au milieu de l’Océan sauvage,
Faisant signe aux vaisseaux d’éviter les brisants.

Ruine abandonnée, elle est utile encore,
Pareille aux grands vieillards savants et glorieux,
Dont l’esprit s’est éteint, que pourtant on honore,
Car l’éclat du Passé s’étend toujours sur eux.

mardi 10 juin 2025

Francis Clerc • À la Franche-Comté | Les rendez-vous du vers






À la Franche-Comté




Francis Clerc





J’aime tes noirs sommets, terre de ma Comté,
Tes vals profonds et verts où les ruisseaux serpentent.
Tes forêts de sapins qui gravissent les pentes,
Et tes rochers si blancs par les soleils d’été.

J’aime tes lacs d’azur fréquentés des sarcelles,
Les appels des pêcheurs cachés dans les roseaux,
Où l’automne on entend sur le calme des eaux
Passer rapidement des frémissements d’ailes.

J’aime tes vieux moulins au pavillon tremblant
Qui tournent doucement dans le fond de la gorge ;
Où l’on se plaît encor à manger du pain d’orge
Et du jambon fumé qui pend au plafond blanc.

J’aime le son lointain de toutes les clochettes
Des troupeaux bondissants épars au flanc des monts,
Et des rocs du Poupet au sommet des Larmonts
Entendre les vieux chants que les bergers répètent.

J’aime tes clochers gris juchés sur les plateaux,
Tes antiques cités qui défendent nos plaines
Depuis les temps lointains des légions romaines,
Et tes fermes qui vont s’égrenant aux coteaux.

Et je vous aime aussi, sœurs aux âmes exquises,
Qui mettez parmi nous votre fine beauté,
Et qui, dans les foyers de l’antique Comté,
Gardez l’art et l’honneur dont vous êtes éprises.

Nous aimons tes sillons comme des fils pieux,
Noble terre, joyau de notre sol de France ;
Et loin d’eux nous gardons l’invincible espérance
De reposer auprès des tombeaux des aïeux.

dimanche 8 juin 2025

Jean Rebier • Les châtaigniers | Les rendez-vous du vers






Les châtaigniers




Jean Rebier





Quand je passe, en hiver, dans la combe déserte
Où les vieux châtaigniers lèvent leurs bras noueux
Je m’arrête, pensif, devant ces bons aïeux,
Car ils ont un aspect qui glace et déconcerte.

Lépreux, tordus, troués, sous le ciel gris et froid
Ils érigent leurs troncs vêtus de moisissures,
Et perdant un sang noir par d’affreuses blessures
Ils semblent, dans la nuit, des spectres de l’Effroi.

Squelettes décharnés qu’on croirait insensibles
Ils rugissent pourtant quand le vent des hivers
Faisant craquer leurs os, fouillant leurs flancs ouverts,
Cruel et fou, s’obstine après ces tristes cibles.

Et je n’ai jamais su, passant épouvanté,
S’ils poussent, les damnés, ces clameurs frénétiques,
Et s’ils tendent leurs poings mutilés et tragiques
Pour maudire le ciel ou demander pitié.

Mais, quand viendra l’avril, sous l’écorce rugueuse
La sève coulera comme un sang généreux,
Et sur les rameaux gris, les bourgeons vigoureux
Mettront leur tache verte, éclatante et joyeuse.

Dans les branches, les nids feront leur bruit charmant,
Et les troncs torturés des châtaigniers fantômes
Redevenus vivants, s’arrondiront en dômes
Où la brise du soir chantera doucement.

Et les pelons, mûris par le soleil d’automne,
En tombant sur la mousse égrèneront encor
Leurs marrons savoureux vêtus d’ébène et d’or,
Fruits d’arrière-saison dont la splendeur étonne.

Puis, brisé par l’ultime et magnifique effort,
Chaque tronc, laissant choir ses feuilles jaunissantes,
Plongera plus avant ses racines puissantes
Pour renaître, au printemps, plus robuste et plus fort.

Ainsi, mon Limousin, noble et fière patrie,
Tu connus l’ombre après les siècles triomphants,
Mais la sève qui rend bons et forts tes enfants
Gonfle encore ton sein, source jamais tarie !

samedi 7 juin 2025

Edmond Sautereau • Le laboureur de Beauce | Les rendez-vous du vers






Le laboureur de Beauce




Edmond Sautereau





Octobre est de retour : à peine est apparue
L’aube, que matinal, regagnant ses travaux,
Son grand fouet à la main, part avec sa charrue
Le laboureur porté par l’un de ses chevaux.

Déjà la matinée est humide et brumeuse.
Homme et chevaux couplés aspirent le brouillard,
Maigre et mouillé, dressant sa tête floconneuse,
Le chardon épineux se hérisse à l’écart.

Du courlis effrayé le dernier cri s’efface.
L’alouette en chantant rase encor les sillons.
À l’orient le ciel s’éclaire, et dans l’espace
Se dispersent au loin des gerbes de rayons :

C’est lui, c’est l’œil du jour, au-dessus du nuage,
Dont le sommet vermeil brille de rose et d’or.
Dans la terre le soc s’enfonce, et l’attelage,
Reprenant le sillon, va, vient, revient encor,

Le coutre fend le sol ; et la glèbe croulante,
Qu’avec effort soulève et retourne le fer,
Le fait luire au soleil et s’étale fumante :
On croit voir des vapeurs d’encens flotter dans l’air.

Et sur les pas de l’homme et des vaillantes bêtes
Voletant, sautillant, se pressent sans façon,
Convives emplumés, pie et bergeronnettes,
Becquetant à l’envi vers, larves à foison.

D’un agreste parfum la terre labourée
Enivre à pleins poumons le travailleur hâlé,
Des fraîcheurs de la nuit la plante saturée
Penche et fait resplendir son feuillage emperlé.

Avec chiens et pasteur au long manteau rustique
En bêlant sort du parc le troupeau de moutons,
À cette heure entouré de brume poétique ;
Il s’en va chercher l’herbe et la plante en boutons.

De la cour de la ferme avec leur petit pâtre
Lentes sortent aussi les vaches aux flancs roux :
D’un regard vigilant la maîtresse de l’âtre
Les suit jusqu’au détour du gros buisson de houx.

Autour du laboureur humble, dur et stoïque
De mâle activité tout se remplit aux champs ;
Tout forme sous le ciel comme un concert rustique,
Auquel s’unit son cœur plein de rêves touchants.

Travailleur pacifique, et que pourtant la guerre
Trouverait courageux et fort dans le combat,
S’il fallait pour les camps abandonner la terre
Et partager, un jour, la tâche du soldat,

Il se sent cher au Dieu dont la toute-puissance
Fait germer et mûrir les blés luxuriants,
Et donne au pain conquis par un labeur immense
Une saveur qui manque au pain des fainéants.

Midi, dont l’ardeur brûle et le sol et le chaume,
Embrase le zénith : tout a soif ; l’air en feu
Fait couler la sueur des chevaux et de l’homme.
L’œil cherche en vain au ciel un flocon ; tout est bleu.

La cloche du village aux lointaines volées,
Annonce au travailleur le moment du repos.
Il ramène à leur toit ses bêtes dételées,
Et la Grise lui prête encor son large dos.

Oh ! qu’ils ont bien gagné l’avoine et la provende,
Ces deux bons animaux au poitrail écumant,
Qui, prêts à tout effort que l’homme leur demande,
Labourent depuis l’aube infatigablement !

Et lui, le laboureur, de qui la gorge est sèche
Et l’estomac creusé par l’air frais du matin,
Quand de foin odorant il a rempli leur crèche,
À son tour d’apaiser et sa soif et sa faim.

Assise à ses côtés sa famille rayonne :
Sa compagne robuste et simple lui sourit,
Et ses enfants aimés lui font une couronne,
Comme à l’arbre ses fruits que le soleil mûrit.

Le repas terminé, le père fait un somme
Sur le foin. Sa moitié l’éveille doucement.
Un frais baiser d’enfant l’effleure aux tempes, comme
Le zéphyr, en juillet, rase le flot dormant.

Debout ! De retourner voici l’heure venue.
L’attelage repart et reprend ses travaux :
Dans le champ jusqu’au soir geint encor la charrue,
Et vont à plein collier tirant les bons chevaux.

Avec ses compagnons à la vaste encolure
L’homme, sans s’arrêter, marche du même pas,
De ce pas soutenu, calme et vaillante allure,
Dont va le paysan jusqu’au jour du trépas.

Enfin le soir descend, et dans la plaine blonde, 
Où la brise en été creusait des vagues d’or,
Luit la route et son rang d’ormes à tête ronde
Au loin, et du clocher le coq plus loin encor.

Les vaches font tinter leurs clochettes fêlées
Le long du chemin blanc, au bord d’herbe couvert.
Par degré le ciel prend des nuances voilées
D’améthyste, d’or pâle idéal et de vert.

L’air fraîchit ; à demain semailles et hersage.
Les poumons dilatés respirent ; la sueur
Du flanc des deux chevaux lassés du labourage
S’exhale et fait un nimbe à la blanche lueur.

Le laboureur revient, et brune au crépuscule
Sa silhouette, assise au flanc d’un des chevaux,
Sur l’horizon lointain et dont la ligne ondule
Grandit, mêlant son ombre à celle des coteaux,

Et puis tout lentement pâlit, s’éteint, s’efface.
Le croissant argenté paraît au firmament,
À son foyer joyeux l’homme a repris sa place ;
Il a rempli sa tâche, et son cœur est content.

Le travailleur sourit, plein de reconnaissance
Pour Dieu, qui lui donna tendre épouse, enfants blonds.
Il s’endort, et ce Dieu lui fait en espérance
Voir abonder aux champs de nouvelles moissons.