vendredi 5 décembre 2025

Marie Dauguet • L’ancienne croix percluse | Les rendez-vous du vers






L’ancienne croix percluse…




Marie Dauguet





L’ancienne croix percluse à la croisée des routes
Qui tend ses bras de mousse au gris de l’horizon ;
Sur le chaume rasé que la lune veloute,
Fume l’herbe qu’on brûle à l’arrière-saison.

Souffle, vent de douceur au travers de la plaine ;
Il semble que tu aies peur de parler tout haut,
Sous les yeux de la lune aux lueurs de phalène
Qui emmèle ses feux aux branches des bouleaux.

La rivière aux clapotements charmants qui marche,
Reflète les peupliers brumeux des pâquis
Et voit danser la lune incertaine sous l’arche
De ce vieux pont bossu dans la vase accroupi.

Deux chèvres, près de nous, front haut, broutent les ronces ;
Mes coudes sur le dos basané du vieux pont,
Je m’abandonne au songe où la glèbe s’enfonce,
A celui de la lune en fuite sous les joncs.

lundi 1 décembre 2025

Jules Breton • La source sous bois | Les rendez-vous du vers






La source sous bois




Jules Breton





Dans le fond d’une tiède et paisible clairière
Ouvrant dans la forêt obscure un soupirail,
Où l’herbe est de velours, où près de la bruyère,
De son écrin l’iris égraine le corail ;
Où les rayons discrets, mêlés aux vapeurs chaudes,
Effleurant le gazon touffu, le traversant,
Font de cette verdure intense du versant
Un ruisselant tapis de sombres émeraudes
Où le gai papillon s’égare quelquefois ;
Tandis que doucement frissonne la ramure,
Que l’oiseau se recueille et fait taire sa voix,
Adorable babil, une source murmure.
Au milieu, sur le sol plus humide et plus noir
Un agreste bassin, comme un sombre miroir,
Entouré de granit, de mousses et de lierre,
Reflète un bloc troué qui laisse couler l’eau
Et se tache de brun comme un troue de bouleau.
Une fillette est là, son genou sur la pierre,
Se détachant d’un ton puissant sur le fond vert ;
Et le jour affluant dans l’espace entr’ouvert,
Autour de l’enfant glisse un doux trait de lumière
D’où parait émaner comme un nimbe changeant.
Laissant flotter son âme en une molle trêve
Où l’idée apparaît et jamais ne s’achève,
Elle incline un front beau d’abandon négligent,
Et son regard perdu tout au fond de son rêve
Suit le fil d’eau qui tombe en torsade d’argent.

samedi 29 novembre 2025

Émile Raguin • Terre semée | Les rendez-vous du vers






Terre semée




Émile Raguin





Lentement, pas à pas, j’ai conduit la charrue,
Je t’ai mise en sillons, ma terre de labour.
Les vents t’ont caressée et puis avec amour,
J’ai traîné sur tes flancs une herse assidue !

Quand tu fus préparée, ainsi qu’un lit de roi,
J’ai semé le blé roux d’une main solennelle ;
J’ai de nouveau passé la herse qui nivelle
Et maintenant je n’ose plus marcher sur toi !

Te voilà belle, en paix, sous la brise embaumée,
Sous mon tendre regard, sous le calme soleil,
Épouse satisfaite et qui reste en éveil
En se réjouissant de se sentir aimée !

lundi 24 novembre 2025

Jean Rebier • La laitière | Les rendez-vous du vers






La laitière




Jean Rebier





À l’heure où souriant au milieu des vergers
Que l’aube argente encore de ses brouillards légers,
Avec des bruits joyeux le village s’éveille,
Pendant que la servante accourt emplir sa seille
À la source qui brille entre les noisetiers
Et que vers les guérets s’empressent les bouviers,
Rose et fraîche et l’œil clair, Marguissou la laitière,
Ayant sur son jupon noué sa devantière,
Pour la ville est partie avec ses pots ventrus.
Mille chansons d’oiseaux sortent des buissons drus,
Et l’âne, allègrement, remorque sa charrette.
Marguissou ne fait pas les rêves de Perrette,
Mais son cœur est léger comme le bleu matin,
Où le son des grelots met un rire argentin.
Saine fille des champs qui va, de porte en porte,
Offrir le lait crémeux et pur qui réconforte ;
Elle sait que là-bas, au fond des noirs faubourgs,
Chacun ne mange pas à sa faim tous les jours,
Et souvent, dans un bouge infect où l’on s’entasse,
Charitable, elle a dû pour rien emplir la tasse
Que présentait, tremblante et sans dire un seul mot,
Une femme sordide en montrant son marmot.
Aussi, dès qu’elle aura, pimpante et gracieuse,
Versé tout son lait frais, elle prendra, joyeuse,
La route qui serpente entre les prés herbeux
Où les gars turbulents font pacager les bœufs,
Et, pour avoir frôlé ces tristes fourmilières,
En revoyant son mas aux maisons familières
Et son époux robuste et son enfant rieur,
Elle comprendra mieux le prix de son bonheur.

mardi 18 novembre 2025

Édouard Bourgine • Un chemin creux | Les rendez-vous du vers






Un chemin creux




Édouard Bourgine





Parle-nous des gens d’autrefois,
Ô vert cloître, chemin sous bois
Aux talus plantés de grands hêtres,
Ravin ravagé par les ans,
Montrant encore à nos enfants
La trace du pas des ancêtres ;

Larges ornières du sol roux,
Flaques d’eau dormant dans les trous,
Parlez-nous des vieux attelages,
Des rouliers et du postillon,
Quand des grelots le carillon
N’a plus d’échos sous les feuillages.

Décor aimé, fais revenir
Tout ce qui plaît au souvenir :
Quelque laitière paysanne
Avec ses brocs, son mantelet,
Passant ici porter son lait
En amazone sur un âne.

Ramène enfin les amoureux
Aux pas lents, aux yeux langoureux,
Entre les hêtres immobiles ;
Éveille l’écho des baisers
Par ton silence éternisés,
Austère chemin des idylles !