dimanche 1 juin 2025

Édouard Michaud • Un arbre | Les rendez-vous du vers






Un arbre




Édouard Michaud





C’est un acacia splendidement monté
Parmi les toits, sous ma fenêtre et que l’été
Lui fasse un vert manteau mouvant ou que l’automne
L’effeuille, feuille à feuille, au ciel fin qui moutonne,
Il élargit mon humble horizon citadin.
Calme, il a l’air d’un roi, mais la brise soudain
Passe, alerte, à travers sa flexible ramure,
Et l’arbre harmonieux se répand et murmure,
Semblable à des flots verts brusquement déliés.
Quand le large vent d’ouest se heurte aux troncs pliés
Et que l’orage au loin a des voix qui s’irritent,
Alors que les oiseaux par vols directs s’abritent,
Je l’ai vu se cabrant, battu d’averse, et fort
Et souple, tenir tête au vent fougueux qui tord.
Et comme il était beau dans cette lutte, athlète
Dont la face ruisselle et dont le flanc halète,
Mais qui, sachant autant se soustraire qu’oser,
Peut subir l’ouragan sans en être brisé !
Et je l’aime surtout par les soirs lents et vastes
À l’heure où constellé d’éclaboussures chastes
Qui sont l’éveil léger d’astres prêts à surgir,
Il dresse sur la ville enfin lasse d’agir
Et qui, spirituelle, à rêver se hasarde,
Un front d’or où le jour, traqué d’ombre, s’attarde.

Léonce Depont • Aux champs | Les rendez-vous du vers






Aux champs




Léonce Depont





Toi devant qui l’Orgueil lui-même s’agenouille,
Fraîche apparition dans le plus doux tableau ;
Toi qui passes, le soir, venant de puiser l’eau,
Conduisant tes brebis ou filant ta quenouille ;

Enfant, cache ta vie, afin que rien ne brouille
Ton miroir, pour que, blanche ainsi qu’en ton berceau,
Tu conserves, le front marqué d’un noble sceau,
Ton âme sans désirs, ton aiguille sans rouille.

Ne possèdes-tu pas un corps robuste et sain,
Des ruches, où s’abat plus d’un bruyant essaim ;
Un verger, dont les fruits tombent comme une manne ;

Et, pour l’humble rêveur, toujours déshérité,
Avec le charme pur qui de ta grâce émane,
Un fier sourire empreint de sereine bonté !

vendredi 23 mai 2025

Aurélien Ridon du Mont aux Aigles • La minute orageuse | Les rendez-vous du vers





« La minute orageuse », poème n°2 de mon ouvrage n°10. 1350ème poème publiable.





La minute orageuse




Aurélien Ridon du Mont aux Aigles





Les orages qu’un ciel très noir annonçait vinrent,
Et parmi les bovins, les plus vieux reniflaient
Les airs moites, fiévreux et mutiques qui tinrent
À rendre plus absents le merle et ses sifflets.

Et vous fûtes, vous, bœufs, verbeux, la bave au mufle,
Habités de récits qu’en vain vous meugliez.
Puis quand le pétrichor prit quelque odeur de truffe,
Vous regoûtiez le foin humide au doublier.

La minute orageuse, on ne voulut la peindre,
Pas plus du reste que le succulent retour
Des chants de l’avifaune excités par les moindres
Danses de toupillons séchant aux vents du jour.

vendredi 9 mai 2025

Auguste Gaud • Les mendiants | Les rendez-vous du vers






Les mendiants




Auguste Gaud





Le soleil lentement derrière la colline,
Tel qu’un disque sanglant, à l’horizon décline.
On entend, dans le val, les appels du berger,
Et, de troublants parfums flottent dans l’air léger,
C’est l’heure où, sur les champs, tombe le crépuscule,
Dans les sentiers ombreux où la brise circule,
Vers la ferme l’on voit revenir les troupeaux.
Dans le creux des fossés s’éveillent les crapauds.
Assis en rond, autour d’un feu clair de branchages,
Les mendiants qui vont courir, par les villages,
Pour le repas du soir, déjà sont rassemblés.
La chanson des grillons vibre encore dans les blés,
Tandis qu’au firmament une étoile s’allume…

Ils sont tristes, leur cœur est rempli d’amertume.
Les paysans sont durs envers les vagabonds ;
Et ce n’est point pour eux, que leurs champs sont féconds !
Aussi, les loqueteux, une écume à la bouche,
Pâles, les poings crispés et le regard farouche,
Vomissent leur rancœur sur la société,
Dans la calme splendeur de ce beau soir d’été.

mardi 6 mai 2025

Emmanuel Vitte • Les laboureurs | Les rendez-vous du vers






Les laboureurs




Emmanuel Vitte





Dès l’aube, dans la plaine où de molles vapeurs
Surnagent vaguement, de rudes laboureurs,
Le long du sillon fauve où la brume se traîne,
Aiguillonnent les bœufs à la fumante haleine.

Et les bœufs, doux et forts, en leur tranquille ardeur,
Cheminent lourdement, ouvrant avec lenteur
La glèbe inerte et nue où germera la graine,
Espoir cher et sacré de la moisson prochaine.

Et laboureurs et bœufs mélangent leur sueur,
Sur le sol fécondé par leur commun labeur,
Tandis que par delà le brouillard, sur leur tête,

Dans la sérénité de l’azur, l’alouette
Déroule à plein gosier son refrain gracieux
Qui monte, monte encore et se perd dans les cieux.