samedi 16 mars 2024

Daniel Sivet • Le paysage | Les rendez-vous du vers

 




Aurélien Ridon du Mont aux Aigles • Pointe de douceur | Les rendez-vous du vers





« Pointe de douceur », poème n°30 de mon ouvrage n°7. 1004ème poème publiable.
Alternance en genre toujours facultative dans mes poèmes de cet ouvrage.


Charles Argentin • Moisson | Les rendez-vous du vers






Moisson



Charles Argentin




Sous un large soleil de cuivre rutilant
Qui, du zénith en feu choît d’aplomb sur les plaines,
Les moissonneurs, humant la flamme, hors d’haleines,
Impriment à leurs faulx un rythme étincelant.

Partout, les blés rompus jonchent le sol brûlant,
Et sur les chariots où l’on rit à voix pleines,
Les épis mûrs, ployant sous la lourdeur des graines
S’écroulent, enlevés d’un sûr et brusque élan.

Tout à coup, des clameurs ! La campagne est en branle.
Un fouet claque, un char crie et pesamment s’ébranle
Sous le quadruple effort de ses lourds percherons ;

Et, vers l’agreste toit de chaume de la ferme,
Parmi les tourbillons du chanvre et les jurons
Le rustique attelage avance d’un pas ferme…

Louis Fevez • Bœufs du Morvan | Les rendez-vous du vers






Emmanuel Vitte • Le gros chêne | Les rendez-vous du vers




Remerciements à Marc Rochet, arrière petit-fils de l'auteur, pour avoir, à ma demande, numérisé l'ouvrage L'heure du rêve dont ce poème est issu.



Le gros chêne




Emmanuel Vitte





Il n'est plus le géant, tant de fois séculaire,
De l'antique forêt glorieux survivant !
Le gros chêne est tombé, non sous l'assaut du vent,
Mais sous les coups honteux de la hache vulgaire.

Toi qui fus insensible aux morsures des ans,
Toi dont la résistance affolait la tempête,
Alors qu'elle passait, hurlante, sur ta tête,
Sans pouvoir incliner jamais tes bras pesants !

Toi qui puisais sans cesse aux entrailles fécondes
Du sol gaulois le sang qui fait l'arbre immortel,
Et le chêne plus fort que la tour du castel
Dont le granit soutient les assises profondes !

Hélas ! il a suffi des stupides efforts
D'un bûcheron cupide armé d'une cognée,
Pour faire s'exhaler ton âme résignée,
Dans l'écroulement lourd et vaste de ton corps.

Chêne, où donc est le temps, où, d'une âme attendrie,
Le peuple contemplait ta force avec orgueil,
Croyant entendre, aux jours d'allégresse ou de deuil,
Frémir en tes rameaux l'âme de la patrie ?

Mais les hommes n'ont plus, en leur cœur sans amour,
Le culte et le respect de la beauté des choses :
Ils vont, profanant tout, les chênes et les roses,
L'œuvre des siècles comme l'œuvre d'un seul jour.

Cependant tu fus bon, de la bonté constante
Et tranquille que Dieu dispense aux êtres forts,
Et qui vibrait, ô chêne, en suaves accords,
Aux souffles de la brise épars en ta charpente.

Quand le livide éclair déchirait l'horizon,
En ouvrant dans la nue un effrayant déluge,
Les travailleurs des champs bénissaient le refuge,
Que leur offrait alors ta large frondaison.

Pleins de l'ennui des jours, les anciens du village
Sur tes pieds sinueux aimaient venir s'asseoir.
Gardien de leur passé, tu ranimais l'espoir
En leur cœur refroidi par les glaces de l'âge.

À ton ombre évoquant les lointains souvenirs,
Ils se remémoraient, non sans quelqu'allégresse,
Leurs antiques exploits de guerre ou de jeunesse
Et les gais incidents des champêtres plaisirs.

Quand la veuve pensive, à l'allure inquiète,
Venait glaner du bois pour son foyer, le soir,
En abondance alors tombaient de ton front noir
Les rameaux desséchés, poussière de ta tête.

Puis, quand venaient les jours de fête du hameau,
Une foule rieuse accourait sous tes branches.
Garçons en blouses bleues, filles en coiffes blanches,
Tous dansaient à ton ombre, au son du chalumeau.

Cependant que, pareil à l'aïeul qu'on révère,
Et dont le cœur est plein d'indulgence et d'amour,
Tu préservais les fronts de la chaleur du jour
Et mêlais aux chansons ta grande voix sévère.

Et maintenant, il n'est qu'un avare gazon,
À la place où le chêne enfonçait ses racines.
Plus d'ombre, plus de nids, plus de rumeurs divines,
Plus de vaste ramure embrassant l'horizon.

Rien qu'un sol presque nu, que le troupeau dédaigne,
Où croissent, çà et là, la ronce et le chardon,
Où parfois, vers le soir, errant à l'abandon,
Un pauvre âne survient dont l'encolure saigne.

Et l'enfant du pays qui fut absent longtemps,
Cherche d'un œil ému, doutant s'il se fourvoie,
Le chêne qui semblait l'accueillir avec joie,
Et se prend à pleurer l'ami de ses printemps.