vendredi 26 décembre 2025

Henri Pauthier • Le retour aux pâtures | Les rendez-vous du vers






Le retour aux pâtures




Henri Pauthier





Les vaches et les bœufs, durant les longs hivers,
Rêvant du grand ciel bleu qui borde les prés verts,
Meuglent au souvenir des pâtures lointaines.
Et de l'herbe fleurie où chantaient les fontaines.
Mais, lorsque avant-coureurs des brises de l'été
Les vents tièdes d'avril balayent la Comté,
Et quand sur le clocher de l'église, fidèles
Reviennent babiller les noires hirondelles,
Un matin, à l'appel du berger, les troupeaux
S'éveillent à grand bruit de leur pesant repos.
Au sortir de la nuit profonde des étables,
Les vaches aux longs pis et les bœufs vénérables,
Buvant à pleins naseaux l'azur et le soleil
Beuglent éperdument dans le matin vermeil.
Puis ils vont retrouver les herbes du pacage,
La forêt de roseaux le long du marécage,
Et la lisière ombreuse où les grands sapins noirs
Chantent au vent d'été dans la pourpre des soirs.
De leurs flancs cahotés montent des vapeurs blondes,
Et le soleil levant blanchit leurs cornes rondes.
Ils boivent, en passant, au fond de l'abreuvoir,
Laissant l'eau de leur mufle en longs ruisseaux pleuvoir.
Par les prés, où frisonne au loin la brume bleue,
Fouettant à petits coups leur croupe de leur queue,
Au rythme cadencé des clochettes de fer
Ils broutent la lavande et le genêt amer.
Mais parfois, las de paître, à travers le finage
Ils errent à pas lents, comme en pèlerinage.
Ils écoutent longtemps, graves et recueillis,
L'aubade des oiseaux à l'ombre des taillis,
Et le bourdonnement, pareil au bruit d'un fleuve,
Des insectes épars dans la frondaison neuve.
La lumière les plonge en un ravissement ;
Ils aspirent la brise au fond du firmament,
Et, le mufle tendu vers l'azur qui s'embrase,
Ils semblent savourer, en une longue extase,
L'ivresse du printemps dans le matin fleuri.
Un humide brouillard, comme un rêve attendri,
Nage dans la douceur de leurs grands yeux farouches ;
Et, ridant leur poitrail tout constellé de mouches,
Ils célèbrent avec des meuglements joyeux
La fin de leur exil et le réveil des cieux.

Achille Millien • Jour de moisson | Les rendez-vous du vers






Jour de moisson




Achille Millien





En balançant leurs faucilles,
Jupe courte, sous l’azur,
Voici que partent les filles
Pour la moisson du blé mûr.

Sitôt qu’a donné chacune
Un coup d’œil à son miroir,
Elles s’en vont, blonde ou brune,
Travailler, de l’aube au soir.

On chemine, on saute, on jase,
Le pied vif, la langue aussi :
Rire clair, lambeaux de phrase
Dans le pur patois d’ici,

Si bien que l’essaim qui passe
Là-bas, au long des ruisseaux,
Laisse envoler dans l’espace
Comme un gazouillis d’oiseaux.

Charles Baussan • Les bœufs | Les rendez-vous du vers






Les bœufs




Charles Baussan





Le soir vient. Le fermier conduit ses bœufs au pré.
Emplissant le chemin et dévalant les pentes,
Tout le troupeau descend en bataillon serré,
Les têtes se heurtant aux croupes galopantes.

Le chien trottine à droite, à gauche, désœuvré.
Quelquefois un grand bœuf, de ses cornes luisantes,
Fait tomber de branche en branche, au fond du fourré,
Des pommes mûres qui pendaient au bas des entes...

Dans le pré, maintenant, les bœufs ne courent plus.
Leurs cous fauchent le sol, tranquilles et goulus.
Le fermier fait sa ronde ; il longe la clôture ;

Il voit pousser son herbe, et, tout allant au mieux,
Par plaisir, il s’attarde un peu dans la pâture
Et regarde manger autour de lui ses bœufs.

mardi 23 décembre 2025

Francis Yard • Le batteur de faux | Les rendez-vous du vers






Le batteur de faux




Francis Yard





Le matin frais et pur scintille de rosée.
Le faucheur s’est assis, une bouteille en main,
Sous l’aubépine creuse au bord du vieux chemin ;
Sa faux, humide encor, est près de lui posée.

Il vide un dernier verre. Et, dans ses poings velus,
Prend l’enclume d’acier qu’il dresse et qu’il regarde ;
Deux spirales de fer lui font comme une garde
Pour la maintenir droite au versant du talus.

De sa manche il l’essuie et la tâte du pouce,
Puis l’enfonce dans terre entre ses deux genoux,
Et sur le bel outil, poli, brillant et doux,
Il ajuste la faux dont le tranchant s’émousse.

Le petit coup rythmique et sec du marteau dur,
D’un bout à l’autre de l’outil couleur d’aurore
Tape et refait le fil de la lame sonore
Qui passe à coups d’éclairs et rase le blé mur.

Quand le marteau se tait, la bouteille pansue,
Dont le flanc rebondi parmi l’herbe est couché,
S’incline et fait glou glou du goulot débouché ;
Le vieux faucheur a soif ; il boit, s’essuie et sue.

Emmanuel Vitte • In votis | Les rendez-vous du vers






In votis




Emmanuel Vitte





Souvent, las des rumeurs confuses de la ville,
Et des sauvages cris de ses chars trépidants ;
Las de voir s’agiter une foule servile,
Aux frivoles désirs, aux gestes discordants ;

Las du labeur ardu et peut-être infertile,
Que n’auréolent plus les espoirs triomphants,
Je rêve d’un hameau solitaire et tranquille,
Et de blanches maisons éparses dans les champs.

Oh ! par la route ancienne, avec amour suivie,
Je voudrais m’en aller vers la paix que j’envie,
Et revoir les foyers où j’aimais à m’asseoir.

Je voudrais m’en aller vers la terre de Bresse,
Où plus d’un coeur encor garde quelque tendresse
A l’exilé sur qui descend l’ombre du soir.