La vache à l’abattoir
Auguste Gaud
La vache des Brichet, hier, s’est écornée,
C’était leur gagne-pain ; tout le long de l’année,
Ils vivaient du produit de son lait ; chaque jour,
La femme le portait dès l’aube aux gens du bourg…
Et, les deux pauvres vieux, songent à leur misère,
L’un dit : il vaudrait mieux ramer une galère,
Ou bien, pourrir, là-bas à l’ombre des cyprès,
Que de continuer à vivre, désormais !...
Qui donc nous donnera une aussi bonne bête,
Reprend l’autre, à quitter l’étable toujours prête,
Pour nous suivre, au printemps, tout le long des talus,
Ou dans le vallon sous les saules chevelus,
Au bord du clair ruisseau, qui court dans les prairies,
Parmi les boutons d’or et les herbes fleuries ?...
Pauvre bête ! qu’il nous faudra vendre au boucher,
Et qu’on ne pourra plus, désormais, approcher !...
Ainsi, Suzon Brichet pleurniche et se lamente,
Tandis que le vieux Jean, à la tête branlante,
Assis près du foyer, sent frissonner son corps...
Or, on entend soudain, une voix au dehors,
C’est déjà le boucher qui vient chercher la vache.
De l’étable il la sort, et par le cou l’attache,
En l’entraînant, brutal, près de son char-à-bancs ;
Les deux vieux sont sortis aphones et tremblants,
La pauvre bête est là, qui tressaille et qui meugle,
On la voit trébucher, ainsi qu’un vieil aveugle.
Elle tourne vers eux, ses suppliants regards
Et s’éloigne, tandis que mornes et hagards,
Ils maudissent le sort de leur malheur, complice
Et songent en pleurant à la bonne nourrice,
Que l’on ne verra plus, dans les ombreux chemins,
Où naguère, en beuglant, elle léchait leurs mains.