lundi 9 décembre 2024

Charles Chalmette • La neige | Les rendez-vous du vers






La neige



Charles Chalmette





Il a neigé ! L'hiver drôle comme un lutin
A coiffé tous les fronts de marbre avec des toques
Et fit de l'arbre, un lustre orné de pendeloques
Qui scintille aux rayons obliques du matin.

Sur la route, au rebord maintenant incertain
Il assoupit le bruit sec et frappeur des socques,
Et contris d'avoir mis tous les buissons en loques,
Étend sur eux un long manteau de blanc satin.

Au fond du parc, le faune a bien mauvaise mine !
L'hiver a son épaule attache de l'hermine,
Puis remonte franger la pente des toits bleus.

Nul bruit, nul vol d'oiseau. La terre se repose
Sous le linceul épais des flocons lumineux
Que l'astre des couchants couvre d'un baiser rose.

dimanche 1 décembre 2024

Blanche Lamontagne • L’étable | Les rendez-vous du vers






L'étable




Blanche Lamontagne





 — « C’est l’heure de donner à manger à nos bêtes »,
Dit le maître. Aussitôt on s’est mis au travail.
L’un donne de la paille au plus petit bétail
Dont on voit s’agiter, au fond, les jeunes têtes.

Puis un autre est allé chercher, sur le fenil,
La ration de foin vert, et sentant la plaine,
Pour la vache au poil roux, l’agnelle à longue laine,
Et la vieille jument dont le poulain hennit.

Alors, ces bons chevaux, aux fortes encolures,
Et les bœufs somnolents dont les yeux semblent verts,
Lèvent leur tête large, aux naseaux entr’ouverts,
Et les chaînes d’acier roulent sur les barrures !...

Ensemble, on les entend ruminer doucement.
Ils mangent. Leur bonheur a réjoui l’étable.
La toile d’araignée, au plafond est semblable
Aux cordes que l’on voit aux mâts d’un bâtiment.

De ci, de là, l’on voit paraître entre les crèches,
Un front rouge et des yeux d’un bleu resplendissant :
C’est la vache de race, et le cheval pur sang
Dont le regard s’emplit d’un désir d’herbes fraîches !

Maintenant le troupeau s’apaise. Un air de paix
S’étend partout, suivi de l’ombre souveraine ;
Et les bêtes, l’œil fixe et limpide, reprennent
Ce rêve intérieur qui ne finit jamais !...

Paul Hauchecorne • Le brassage | Les rendez-vous du vers






samedi 30 novembre 2024

Jules Mayor • Poules | Les rendez-vous du vers






Poules




Jules Mayor





Poule, ma bonne campagnarde
Qui détestes notre cité,
Petits poulets, grasses poulardes
Picorant au soleil d’été,

Poule grise au pesant derrière,
Un gloussement est votre chant,
En vos habits de roturière,
Vous êtes bien filles des champs !

Humbles glaneuses de la glèbe,
Grains comme vers sont un régal.
Ainsi le pauvre, ainsi la plèbe
D’un rien font un repas frugal.

Et pourtant, poules symboliques,
Il fut un temps moins lourd d’impôts
Où tout un peuple bucolique
Rêvait de vous mettre en son pot !

Présagez-vous, bêtes dociles,
Ce triste sort sans quelque effroi,
En suivant la queue en faucille
De votre coq époux et roi ?

Vous grattez pour votre famille,
Ouvrières de nos fermiers,
Le sol où l’insecte fourmille...
Redressez-vous sur vos fumiers !

Grande est votre vertu dernière !
Pour ce bon plat qui n’est pas neuf
— O première des cuisinières ! —
Qui, mieux que vous, sait faire un œuf ?

jeudi 28 novembre 2024

Édouard Michaud • Veilleurs | Les rendez-vous du vers






Veilleurs




Édouard Michaud





Le ciel s’est découvert et le vent souffle immense,
Heurtant les châtaigniers dont sonnent les flancs creux,
Et les pommiers givrés qui se choquent entre eux
Sont tels qu’on peut les voir quand le printemps commence.

La lune ronde plane et c’est l’enchantement,
Le long des rus captifs d’éblouissantes gaines,
De lys fanés un peu vers les trous de fontaines,
Jusqu’au nocturne bleu de l’horizon dormant.

Soudain du coteau proche une voix mâle huche
Et le cristal de l’air s’en brise. Elle promet
Le coup de cidre et le bon coin où l’on se met
Près de l’âtre chantant des ronrons de la bûche.

Elle part de veilleurs en marche pour le bourg
Dans la bise obstinée à leurs blouses de toile,
Et qui, jugeant de l’heure au frisson de l’étoile,
Rentreront, un coq fou jetant son appel court.

Ils vont, leur pas se feutre et leur gosier loquace
Tente d’anciens couplets malgré le gel plus fort.
Le bourg s’offre et tant mieux si le vent qui se tord
Geint d’un portail mal clos que son humeur tracasse.

L’accueil sera meilleur du feu vermeil, meilleur
Sera le cidre bu sur le marron qui craque,
Et l’on se serrera comme harengs en caque
À savoir le froid vif pas très loin, bien qu’ailleurs.

Et l’on aura, surcroît qui seul les meut en somme,
Avec l’évocateur du drac, des lébèrous,
Le conteur dont l’œil rit sous un arc de poils roux,
Mal fait pour le dormeur trop épris de son somme,

Les filles, profils purs, regards nets, cheveux blonds,
Que, furtif, l’on saisit à leurs hanches précoces,
En attendant le jour tumultueux des noces
Où l’on viendra les prendre au son des violons.