samedi 6 décembre 2025

Édouard Michaud • Vieux pont | Les rendez-vous du vers






Vieux pont




Édouard Michaud





Le vieux pont dans le soir, affaissé sur ses arches,
Rêve, touché de brise où flotte une odeur d’eau.
La cathédrale le domine et tend le dos
Au soleil qui frémit sur la Vienne qui marche.

L’heure est divine. Un battoir sonne. Des plongeons
Claquent au flot du large où le poisson émerge,
Et dans le calme d’or qu’il bat de plume vierge
Passe au ciel délicat un vol lent de pigeons.

Contre le parapet, avec les jours plus fruste,
Un pêcheur suit de l’œil le fil mince, le buste
Tout assailli de giroflée et de brins verts ;

Et soudain, pur collier qu’un doigt brusque éparpille,
Multiplié par toi d’échos furtifs et clairs,
Bondit et court, ô pont, heurtant et peuplant l’air,

Un rire frais, éperdument, de jeune fille.

vendredi 5 décembre 2025

Marie Dauguet • L’ancienne croix percluse | Les rendez-vous du vers






L’ancienne croix percluse…




Marie Dauguet





L’ancienne croix percluse à la croisée des routes
Qui tend ses bras de mousse au gris de l’horizon ;
Sur le chaume rasé que la lune veloute,
Fume l’herbe qu’on brûle à l’arrière-saison.

Souffle, vent de douceur au travers de la plaine ;
Il semble que tu aies peur de parler tout haut,
Sous les yeux de la lune aux lueurs de phalène
Qui emmèle ses feux aux branches des bouleaux.

La rivière aux clapotements charmants qui marche,
Reflète les peupliers brumeux des pâquis
Et voit danser la lune incertaine sous l’arche
De ce vieux pont bossu dans la vase accroupi.

Deux chèvres, près de nous, front haut, broutent les ronces ;
Mes coudes sur le dos basané du vieux pont,
Je m’abandonne au songe où la glèbe s’enfonce,
A celui de la lune en fuite sous les joncs.

lundi 1 décembre 2025

Jules Breton • La source sous bois | Les rendez-vous du vers






La source sous bois




Jules Breton





Dans le fond d’une tiède et paisible clairière
Ouvrant dans la forêt obscure un soupirail,
Où l’herbe est de velours, où près de la bruyère,
De son écrin l’iris égraine le corail ;
Où les rayons discrets, mêlés aux vapeurs chaudes,
Effleurant le gazon touffu, le traversant,
Font de cette verdure intense du versant
Un ruisselant tapis de sombres émeraudes
Où le gai papillon s’égare quelquefois ;
Tandis que doucement frissonne la ramure,
Que l’oiseau se recueille et fait taire sa voix,
Adorable babil, une source murmure.
Au milieu, sur le sol plus humide et plus noir
Un agreste bassin, comme un sombre miroir,
Entouré de granit, de mousses et de lierre,
Reflète un bloc troué qui laisse couler l’eau
Et se tache de brun comme un troue de bouleau.
Une fillette est là, son genou sur la pierre,
Se détachant d’un ton puissant sur le fond vert ;
Et le jour affluant dans l’espace entr’ouvert,
Autour de l’enfant glisse un doux trait de lumière
D’où parait émaner comme un nimbe changeant.
Laissant flotter son âme en une molle trêve
Où l’idée apparaît et jamais ne s’achève,
Elle incline un front beau d’abandon négligent,
Et son regard perdu tout au fond de son rêve
Suit le fil d’eau qui tombe en torsade d’argent.