vendredi 23 mai 2025

Aurélien Ridon du Mont aux Aigles • La minute orageuse | Les rendez-vous du vers





« La minute orageuse », poème n°2 de mon ouvrage n°10. 1350ème poème publiable.





La minute orageuse




Aurélien Ridon du Mont aux Aigles





Les orages qu’un ciel très noir annonçait vinrent,
Et parmi les bovins, les plus vieux reniflaient
Les airs moites, fiévreux et mutiques qui tinrent
À rendre plus absents le merle et ses sifflets.

Et vous fûtes, vous, bœufs, verbeux, la bave au mufle,
Habités de récits qu’en vain vous meugliez.
Puis quand le pétrichor prit quelque odeur de truffe,
Vous regoûtiez le foin humide au doublier.

La minute orageuse, on ne voulut la peindre,
Pas plus du reste que le succulent retour
Des chants de l’avifaune excités par les moindres
Danses de toupillons séchant aux vents du jour.

vendredi 9 mai 2025

Auguste Gaud • Les mendiants | Les rendez-vous du vers






Les mendiants




Auguste Gaud





Le soleil lentement derrière la colline,
Tel qu’un disque sanglant, à l’horizon décline.
On entend, dans le val, les appels du berger,
Et, de troublants parfums flottent dans l’air léger,
C’est l’heure où, sur les champs, tombe le crépuscule,
Dans les sentiers ombreux où la brise circule,
Vers la ferme l’on voit revenir les troupeaux.
Dans le creux des fossés s’éveillent les crapauds.
Assis en rond, autour d’un feu clair de branchages,
Les mendiants qui vont courir, par les villages,
Pour le repas du soir, déjà sont rassemblés.
La chanson des grillons vibre encore dans les blés,
Tandis qu’au firmament une étoile s’allume…

Ils sont tristes, leur cœur est rempli d’amertume.
Les paysans sont durs envers les vagabonds ;
Et ce n’est point pour eux, que leurs champs sont féconds !
Aussi, les loqueteux, une écume à la bouche,
Pâles, les poings crispés et le regard farouche,
Vomissent leur rancœur sur la société,
Dans la calme splendeur de ce beau soir d’été.

mardi 6 mai 2025

Emmanuel Vitte • Les laboureurs | Les rendez-vous du vers






Les laboureurs




Emmanuel Vitte





Dès l’aube, dans la plaine où de molles vapeurs
Surnagent vaguement, de rudes laboureurs,
Le long du sillon fauve où la brume se traîne,
Aiguillonnent les bœufs à la fumante haleine.

Et les bœufs, doux et forts, en leur tranquille ardeur,
Cheminent lourdement, ouvrant avec lenteur
La glèbe inerte et nue où germera la graine,
Espoir cher et sacré de la moisson prochaine.

Et laboureurs et bœufs mélangent leur sueur,
Sur le sol fécondé par leur commun labeur,
Tandis que par delà le brouillard, sur leur tête,

Dans la sérénité de l’azur, l’alouette
Déroule à plein gosier son refrain gracieux
Qui monte, monte encore et se perd dans les cieux.

Charles Argentin • Retour des champs | Les rendez-vous du vers






Retour des champs




Charles Argentin





Roulant à l’horizon sans bornes, le soleil
Qui, sans trêve, poursuit sa gigantesque ronde,
Parmi des flamboiements de pourpre et d’or, en l’onde
Enfonce avec lenteur son grand orbe vermeil.

Le ciel crépusculaire, à quelque nef pareil
Allume ses flambeaux qui brillent à la ronde,
Et la lune s’accuse, énorme lampe ronde,
Qui doit du temple obscur éclairer le sommeil.

Voici l’heure sereine où, par les hautes herbes
Quittant les champs, en chœur, les glaneuses superbes
Vont, sous le chaume heureux, savourer le repos.

Et les rires joyeux qui tintent sur leurs lèvres
Se mêlent, dans le soir, au bêlement des chèvres
Que rentrent les bergers au sein de leurs troupeaux.

dimanche 4 mai 2025

Paul Barbier • La batteuse | Les rendez-vous du vers






La batteuse




Paul Barbier





L’aube, de son berceau de roses empourprées,
Ouvre ses beaux regards humides et tremblants
Et jette à pleines mains ses paillettes dorées
Dans le ciel pur semé de légers flocons blancs.
À peine réveillés, les charretiers superbes
Mènent à l’abreuvoir leurs chevaux de labour ;
Et là-bas la batteuse, en attendant les gerbes,
Montre ses dents de fer dans un coin de la cour.
— Allons ! dit le fermier, qui, déjà, voit en rêve
Le grain d’or de son blé se changer en argent ;
À l’ouvrage ! Voici que le soleil se lève.
On aura du bon vin si l’on est diligent ! —
Monstre noir, vomissant à longs flots la fumée,
La puissante machine est à l’œuvre déjà ;
Elle jette dans l’air sa vapeur enflammée
Et siffle en un instant toute la ferme est là.
On monte sur le tas des gerbes qui surplombent.
Chacun est à son poste ; autre coup de sifflet :
Tout branle, tout bruit ; les lourdes gerbes tombent,
Passent de mains en mains comme un léger palet,
Et vont en s’engouffrant dans la batteuse avide.
L’on va, l’on vient, l’on court, l’on danse comme au bal.
― Courage ! Allons ! ce soir, la grange sera vide !
― Attrape ! ― Gare ! ― à toi ! ― C’est un bruit infernal !
Couvrant les travailleurs acharnés à l’ouvrage,
Une poussière blonde au doux reflet vermeil
S’échappe en tourbillon et s’élève en nuage
Dans le ciel radieux où sourit le soleil.
De temps en temps, on voit venir la ménagère,
Sa cruche sous le bras, accorte et souriant :
Tous boivent à la ronde, et, l’âme plus légère,
Reviennent à l’effort de leur labeur vaillant.
Cependant, sans tarir, des flancs de la batteuse
Le grain pur et luisant ruisselle à larges flots,
Et le grenier s’emplit de sacs lourds, charge heureuse
Que les forts paysans apportent sur leur dos.
La nuit tombe déjà sur les plaines désertes :
C’est l’heure du repos et l’on entend toujours
Au-dessus de la ferme, aux fenêtres ouvertes,
Les cris tumultueux et les ronflements sourds.
À la fin, tout se tait entre les portes closes
Et rien ne monte plus au loin sous le ciel pur
Que l’aboiement des chiens inquiets ou moroses
Qui hurlent à la lune en marche dans l’azur !