vendredi 14 novembre 2025

Émile Ginet • L’harmonie des champs | Les rendez-vous du vers






L’harmonie des champs




Émile Ginet





Bien loin des chars bruyants, chiffonniers, marchands d’huile
Et du concert affreux des corneurs de charbon,
Voulez-vous un instant, lecteurs, hors de la ville
Respirer le parfum des fleurs qui sentent bon ?

Venez ! Là-bas les champs sont pleins de gais murmures,
Les bois silencieux pleins de calme et de paix ;
Le long des chemins verts, bordés de fraises mûres
Un vent tiède frémit dans les rameaux épais.

L’idylle du printemps par l’onde est gazouillée
Au bord d’une fontaine ou d’un canal ombreux,
Où les petits oiseaux perdus dans la feuillée
Exécutent en chœur maints concerts amoureux.

Là, c’est l’étrange accord que font dans l’herbe molle
Mille insectes cachés, abeilles et grillons.
Tout à coup, vers les cieux, l’alouette s’envole ;
Comme une voix priant pour le grain des sillons,

Ici monte un bruit sourd du fond de la ravine
Où, dans son lit rocheux, gronde l’eau du torrent.
Et ce léger frisson que l’oreille devine ?...
C’est un souffle de l’air qui passe en soupirant.

Écoutez... on croirait qu’à la brise se mêle
Le sourire d’un ange ou d’un esprit moqueur,
L’écho d’un doux baiser, le frôlement d’une aile,
La respiration, les battements d’un cœur...

O son mystérieux, rumeur insaisissable,
Faible zéphir qu’à peine on perçoit en marchant !
Plainte du flot rêveur endormi sur le sable,
N’êtes-vous pas un hymne, une prière, un chant ?

lundi 10 novembre 2025

Blanche Lamontagne • La campagnarde | Les rendez-vous du vers






La campagnarde




Blanche Lamontagne





La porte est entr’ouverte. Au fond de la maison
On peut voir un bon feu qui flambe en la cuisine.
Une croix de bois franc paraît à la cloison.
Un catéchisme ancien sur l’armoire avoisine.
Debout, la campagnarde au visage animé,
Mise candidement : grosse jupe et mantille,
Surveille avec adresse un bouilli parfumé :
Si j’étais toi, garçon, j’aimerais cette fille !

Au temps des fenaisons on peut la voir aussi,
Dès le jour, ramassant les épis et les herbes,
Joyeuse, sans regret, sans peur et sans souci,
Élevant de ses mains les triomphales gerbes.
Tout le long des côteaux, tout le long des penchants
Son bras n’est jamais las de porter la faucille,
Et le fond de ses yeux est clair comme nos champs :
Si j’étais toi, garçon, j’aimerais cette fille !

Le dimanche au matin, très pieuse, croisant
Les mains sur son missel, belle de modestie,
À l’heure où l’homme dort son sommeil bienfaisant,
Vers la petite église elle est déjà partie.
Et là, passant le vieux rosaire entre ses doigts,
Même priant tout haut de sa bouche gentille,
Elle a l’air virginal des saintes d’autrefois : 
Si j’étais toi, garçon, j’aimerais cette fille !