Matin de moisson
Henri Pauthier
Le long des fraîches sapinières,
Par le chemin creux, plein d’ornières,
Où l’eau rit au reflet vermeil,
Voici Jeanne la moissonneuse
Qui s’achemine, paresseuse,
Toute rose encor de sommeil.
Et les matinales rosées
Aux gouttelettes irisées
Emperlent sa jupe à l’ourlet ;
Ses yeux en haut dans la ramure
Guettent la noisette pas mûre
Au noyau blanc comme du lait.
Au loin à travers la feuillée
Brille la plaine ensoleillée
Et là-bas le grand champ carré
Où dès l’aube loin du village,
Les gars de la ferme à l’ouvrage,
S’en vont fauchant large et serré.
Au cœur du grand blé qui pétille
Ils lancent la faux qui scintille
Ainsi qu’un blanc croissant d’émail ;
Et sous le tranchant qui la touche
La moisson lentement se couche
Et se replie en éventail ;
Jeannette accourt, longeant la raie
Du champ, et les épis en haie
Frôlent les pointes de ses seins ;
Déjà la voici toute prête,
Le mouchoir noué sur la tête
Le tablier autour des reins.
Vite en gerbes elle amoncelle
La javelle d’or qui ruisselle
De rosée et de soleil clair ;
Et le blé mûr craque et se ploie,
En frissonnant comme la soie
Contre le marbre de sa chair ;
Et la poussière qui s’envole
Des épis, où jusqu’à l’épaule
Elle baigne ses bras nerveux,
Sème un blond duvet sur sa joue,
Sur sa gorge nue, et secoue
Des étoiles dans ses cheveux.
Parfois, quand sur les moissons blondes
Le vent laisse courir ses ondes
Légères comme un vol d’oiseaux,
La belle un moment se délasse,
Et rafraîchit dans l’air qui passe
Sa chair qui se fond jusqu’aux os.
Les poings aux hanches, elle rêve
Tandis que la brise soulève
Les ailes de son tablier ;
Et non loin, quelque gars superbe
La contemple, assis sur la gerbe
Que ses bras viennent de lier.
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