jeudi 21 août 2025

Paul Barbier • La moisson est faite | Les rendez-vous du vers






La batteuse




Paul Barbier





Les guérets sont à nu. Les blés aux fétus d’or,
L’orge aux cils ondoyants, l’avoine aux longues franges,
Tout, depuis quelques jours, est rentré dans les granges ;
Seule, la fleur d’argent des blés-noirs reste encor.

Peut-être aperçoit-on, dans les campagnes vides,
Portant de hauts bouquets sur leur faîte penchants, 
Quelques chars paresseux qui reviennent des champs, 
Si chargés qu’on dirait de vastes pyramides ;

Mais ce sont les derniers. Les glaneuses s’en vont, 
En chœur, par les sentiers bordés de folles herbes,
Ramasser, çà et là, l’épi tombé des gerbes :
On les voit se baisser, puis relever le front.

Et la paix, large, étend ses ailes dans l’air pur
Troublé par le seul bruit des actives batteuses,
Cependant que l’œil voit sur les fermes heureuses
Des vols de pigeons blancs s’égrener dans l’azur.

mardi 1 juillet 2025

Édouard Michaud • Là-bas | Les rendez-vous du vers






Là-bas




Édouard Michaud





Pendant que la cité torrentueuse et grise
S’apaise par degrés et se dore de soir,
Et pendant qu’aux quartiers d’usine l’on peut voir
L’âpre torche d’un four crépiter dans la brise ;

Je pense au bourg lointain si souvent visité
Par mon âme qu’effleure un regret nostalgique
Qu’il me semble présent avec sa tour tragique
Et telle qu’un géant dans sa marche arrêté.

Là-bas ! — Hélas ! là-bas, c’est l’heure où tinte encore,
Se mêlant à l’appel de l’angélus léger,
Sous les coups d’un marteau qui s’exalte à forger,
Le double cap chantant de l’enclume sonore.

Le soleil descendu cisèle à l’horizon
Deux nuages étroits et flottants comme un voile,
Une extase est au ciel déjà pers — et l’étoile
Vient y mettre une fleur qui serait un frisson.

Le croissant d’argent fin se précise et se double
Sur l’étang net qui songe entre ses longs roseaux.
Plus de pas qui s’attarde et les derniers oiseaux
Se hâtent vers les bois dont le contour se trouble.

Un meuglement de bœuf monte d’un chemin creux.
C’est un troupeau rentré du pacage et qui trempe
Au fil frais du ru proche où de la pourpre rampe
Ses flancs massifs et blonds et ses mufles ocreux.

Les champs déserts s’emplissent d’ombre. L’aile lasse,
Le vent frôle la branche au-dessus du vieux mur.
Et les subtils parfums de l’herbe et du blé mûr
S’imprègnent d’une odeur d’eau vive quand il passe.

Mais les seuils sont peuplés. On cause. Le jour fut
Dur à tous et l’on vient distraire un peu sa peine ;
Et l’on dit, à propos de la moisson prochaine —
Le gai ménétrier qu’on assied sur un fût,

Les ripailles après le travail des faucilles,
— Et l’on entend friser, cristal pur dans l’air pur,
D’un groupe qui décroît, de plus en plus obscur,
Le rire souple et musical des jeunes filles.

lundi 30 juin 2025

Léon Boyer • Le lièvre | Les rendez-vous du vers






Le lièvre




Léon Boyer





Au dessus des menus brins verts
Des seigles brillants de rosée,
Pointe, en l’azur des matins clairs
Un bout noir d’oreille dressée.

Et, soudain, souple, queue au vent,
Reins fauves arqués par secousses,
Surgit un lièvre, sautelant
Sur ses pattes maigres et rousses.

Il va, flaire, trotte, accroupit
Son dos bourru qu’ombrent des taches,
Parfume au thym qui refleurit
Les poils lustrés de ses moustaches,

Puis, tout à coup, preste et cornu,
Cabré dans le vent bleu qui passe,
Écoute un bruit furtif, venu
D’on ne sait quel recoin d’espace…

Henry Maystre • Les foins | Les rendez-vous du vers







Les foins




Henry Maystre





À Saint-Georges, à fin juillet,
Tous les faucheurs sont en campagne.
Dans les chemins de la montagne,
Sous les arceaux de la forêt,
Strident et sec claque le fouet
Que le cri du maître accompagne.

Genoux pliés, tête en avant,
Accrochant leurs sabots aux pierres,
À travers rocs et fondrières,
Les chevaux montent, bien souvent
Jusqu’aux sommets nus où le vent
Court au-dessus des sapinières.

Là le faucheur, les pieds ouverts,
Scande sa marche machinale.
La faux, d’une mesure égale,
Oscille, en jetant des éclairs,
Tandis que les insectes verts
Tombent avec l’herbe natale.

La faneuse vient. Son chapeau,
À coups pressés, à grands coups d’aile
Frappe l’air vif qui le querelle.
Moulant comme dans un drapeau
Son corps, le souffle du plateau
Tord ses vêtements autour d’elle.

Au râteau le blanc liseron
Enchevêtre fleurs et liane.
L’abeille à l’aile diaphane
Suit les fleurs au tas frais et rond
D’où la faneuse d’un coup prompt
Rejette l’acre gentiane.

— Eh ! là bas ! Amenez le char !
La fauche est finie et bien faite :
Du grillon on voit la retraite.
Mais il fait soif ! — Sous un fayard
Le vin de fruit est à l’écart.
Le faucheurs vont lui faire fête,

Les faneuses qu’attire peu
L’eau de leurs cruches échauffées,
La joue ardente, décoiffées,
Voudraient bien sur leur lèvre en feu
Presser la coupe du lac bleu.
Il est passé le temps des fées !

Les rameaux d’honneur sont plantés.
On part ; on dit : la charge est belle !
Comme un oiseau qui traîne l’aile
Par les chemins, des deux côtés
Des larges brancards cahotés,
Le foin jusqu’à terre ruisselle.

Mais au front des jeunes faucheurs
Il pleut des étoiles. Mystère…
Sur le char, là-haut, loin de terre,
Les faneuses, ces tendres cœurs,
Blottissant leur troupe légère, 
Sur les garçons jettent des fleurs.