jeudi 12 juin 2025

Robert Milliat • Retour | Les rendez-vous du vers






Retour




Robert Milliat





Sous ses arbres rouillés la maison me regarde
Comme une bonne aïeule au retour de l’enfant,
Et sur le mur ridé dont le front se lézarde
La vigne vierge avant de mourir se défend.

Je vais franchir le seuil et fouler cette pierre,
Sur laquelle mes pas résonnèrent souvent,
En éveillant des bruits défunts... le cimetière
De mes folles terreurs quand j’avais peur du vent.

Je parcourrai les corridors pleins de mystère
Où les échos surpris reconnaîtront ma voix
Et je me griserai de cette odeur amère
Faite de parfums morts de pomme et d’eau de noix.

Mais au lieu de rentrer, je souris et je passe.
À quoi bon revenir vers ce qu’on a quitté ?
Tous les objets aimés sont à la même place
Et leur âme d’hier est dans l’éternité.

Marie Dauguet • Sous le pin musical | Les rendez-vous du vers






Sous le pin musical




Marie Dauguet





Sous le pin musical, pendant que ton troupeau
Broute la sauge humide et tendre au bord de l’eau,
Que l’agneau ramené vers sa mère qui bêle,
S’attache avidement à sa lourde mamelle,

Sieds-toi, berger. Le soir empourpre le coteau
Et suspend nos labeurs. Prends ta musette et mêle
Aux murmures du pin, dont l’ombre bleue chancelle,
À l’appel trébuchant et clair du cailleteau,

Ta chanson. Qu’elle exalte, en un mode archaïque,
La sereine beauté de l’heure bucolique
Et la douceur de vivre et la bonté des dieux,

Tandis que dans la plaine où notre œil se repose,
Descendu de son char aux fulgurants essieux,
Le soleil las s’endort sur la javelle rose.

mercredi 11 juin 2025

Joseph Rousse • La fuie du Bois-Roux | Les rendez-vous du vers






La fuie du Bois-Roux




Joseph Rousse





Par un jour pluvieux, j’errais sur des rivages
Où le vent m’apportait le parfum des œillets.
Tout à coup l’arc-en-ciel parut dans les nuages
Éclairant l’horizon de ses brillants reflets.

Il semblait couronner une tour solitaire
Dominant la presqu’île aride et sans coteaux,
Vieux colombier aux murs envahis par le lierre,
Qui sert pour diriger les marins sur les eaux.

À sa porte jadis étaient des armoiries,
Mais en vain l’antiquaire en cherche les couleurs.
Le peuple les brisa comme les seigneuries ;
Les murs épais ont seuls défié ses fureurs.

De hardis passereaux nichent dans les cellules.
Les pigeons sont partis et ne reviendront plus.
Les ravenelles d’or, les blanches campanules
Ont poussé sur le toit, dans les gazons touffus.

J’aime voir cette fuie au sommet du village,
Près d’un sombre bouquet de sapins murmurants,
Comme un phare au milieu de l’Océan sauvage,
Faisant signe aux vaisseaux d’éviter les brisants.

Ruine abandonnée, elle est utile encore,
Pareille aux grands vieillards savants et glorieux,
Dont l’esprit s’est éteint, que pourtant on honore,
Car l’éclat du Passé s’étend toujours sur eux.

mardi 10 juin 2025

Francis Clerc • À la Franche-Comté | Les rendez-vous du vers






À la Franche-Comté




Francis Clerc





J’aime tes noirs sommets, terre de ma Comté,
Tes vals profonds et verts où les ruisseaux serpentent.
Tes forêts de sapins qui gravissent les pentes,
Et tes rochers si blancs par les soleils d’été.

J’aime tes lacs d’azur fréquentés des sarcelles,
Les appels des pêcheurs cachés dans les roseaux,
Où l’automne on entend sur le calme des eaux
Passer rapidement des frémissements d’ailes.

J’aime tes vieux moulins au pavillon tremblant
Qui tournent doucement dans le fond de la gorge ;
Où l’on se plaît encor à manger du pain d’orge
Et du jambon fumé qui pend au plafond blanc.

J’aime le son lointain de toutes les clochettes
Des troupeaux bondissants épars au flanc des monts,
Et des rocs du Poupet au sommet des Larmonts
Entendre les vieux chants que les bergers répètent.

J’aime tes clochers gris juchés sur les plateaux,
Tes antiques cités qui défendent nos plaines
Depuis les temps lointains des légions romaines,
Et tes fermes qui vont s’égrenant aux coteaux.

Et je vous aime aussi, sœurs aux âmes exquises,
Qui mettez parmi nous votre fine beauté,
Et qui, dans les foyers de l’antique Comté,
Gardez l’art et l’honneur dont vous êtes éprises.

Nous aimons tes sillons comme des fils pieux,
Noble terre, joyau de notre sol de France ;
Et loin d’eux nous gardons l’invincible espérance
De reposer auprès des tombeaux des aïeux.

dimanche 8 juin 2025

Jean Rebier • Les châtaigniers | Les rendez-vous du vers






Les châtaigniers




Jean Rebier





Quand je passe, en hiver, dans la combe déserte
Où les vieux châtaigniers lèvent leurs bras noueux
Je m’arrête, pensif, devant ces bons aïeux,
Car ils ont un aspect qui glace et déconcerte.

Lépreux, tordus, troués, sous le ciel gris et froid
Ils érigent leurs troncs vêtus de moisissures,
Et perdant un sang noir par d’affreuses blessures
Ils semblent, dans la nuit, des spectres de l’Effroi.

Squelettes décharnés qu’on croirait insensibles
Ils rugissent pourtant quand le vent des hivers
Faisant craquer leurs os, fouillant leurs flancs ouverts,
Cruel et fou, s’obstine après ces tristes cibles.

Et je n’ai jamais su, passant épouvanté,
S’ils poussent, les damnés, ces clameurs frénétiques,
Et s’ils tendent leurs poings mutilés et tragiques
Pour maudire le ciel ou demander pitié.

Mais, quand viendra l’avril, sous l’écorce rugueuse
La sève coulera comme un sang généreux,
Et sur les rameaux gris, les bourgeons vigoureux
Mettront leur tache verte, éclatante et joyeuse.

Dans les branches, les nids feront leur bruit charmant,
Et les troncs torturés des châtaigniers fantômes
Redevenus vivants, s’arrondiront en dômes
Où la brise du soir chantera doucement.

Et les pelons, mûris par le soleil d’automne,
En tombant sur la mousse égrèneront encor
Leurs marrons savoureux vêtus d’ébène et d’or,
Fruits d’arrière-saison dont la splendeur étonne.

Dans les branches, les nids feront leur bruit charmant,
Et les troncs torturés des châtaigniers fantômes
Redevenus vivants, s’arrondiront en dômes
Où la brise du soir chantera doucement.

Et les pelons, mûris par le soleil d’automne,
En tombant sur la mousse égrèneront encor
Leurs marrons savoureux vêtus d’ébène et d’or,
Fruits d’arrière-saison dont la splendeur étonne.

Puis, brisé par l’ultime et magnifique effort,
Chaque tronc, laissant choir ses feuilles jaunissantes,
Plongera plus avant ses racines puissantes
Pour renaître, au printemps, plus robuste et plus fort.

Ainsi, mon Limousin, noble et fière patrie,
Tu connus l’ombre après les siècles triomphants,
Mais la sève qui rend bons et forts tes enfants
Gonfle encore ton sein, source jamais tarie !