mardi 30 septembre 2025

Édouard Michaud • Rus | Les rendez-vous du vers






Rus




Édouard Michaud





J’adore tout des bourgs, tout jusqu’à l’atmosphère.
On arrive content du trajet qu’on dût faire
À travers des chemins, des halliers et des bois
Et c’est un soir pieux de septembre et les voix
S’aggravent à frapper l’air vespéral qui vibre.
On courut un grand jour, fiers de se sentir libres,
Parmi le soleil tendre et le vent qui passait,
Et l’on rentre et l’on guigne aux vitres le corset
Craquant et plantureux des appas de l’hôtesse.
Et c’est alors, charmante et fine politesse,
L’accueil des purs relents qui vont de seuil en seuil :
Le bois qui flambe et met au trou de l’huis son œil
Et laisse fuir l’encens faible de sa fumée ;
Le lard, régal prochain de la bande affamée,
Qui crépite et qui cuit dans la poêle aux grands bords ;
De l’ancestral chaudron plat sur ses trois pieds tors
Et qu’on frotte de couenne avant que d’y répandre
La pâte lourde au teint décoloré de cendre,
Un parfum exhalé de massif galétou ;
Et près du bouillon tiède où trempa tout un chou,
L’odeur fraîche du pain qu’une main nette coupe.
Et l’on pourra dehors manger son ample soupe
En respirant, feuillage et roses mélangés,
L’âme errante qui sort des agrestes vergers.

Mathilde de Marliave • Le maïs | Les rendez-vous du vers






Le maïs




Mathilde de Marliave





Sous le ciel pâle et gris, tout le jour, dans la plaine,
Les paysans courbés, avec des gestes lents,
Ont chargé le maïs sur les chariots pesants
Que conduisent les bœufs vers la ferme prochaine.

Les tiges que l’autan flétrit de son haleine
Forment près des logis de lourds entassements,
Et quand le brouillard traîne au bord des toits fumants,
Le métayer, la nuit, tord l’épi dans sa gaine.

Les rudes travailleurs s’assemblent tous les soirs,
Sous les hangars ouverts d’où l’on voit les étoiles,
Le fruit d’ambre s’amasse au fond des vastes toiles.

L’appel des amoureux emplit les chemins noirs,
Et chaque lampe au loin semble un œil qui surveille
La campagne endormie où l’amour se réveille.

lundi 1 septembre 2025

Louis Mercier • Le village de Beure | Les rendez-vous du vers






Le village de Beure




Louis Mercier





Près des rives du Doubs est un heureux village
Étalant au soleil ses vignes, ses pourpris !
Beure, tel est le nom de cet Éden sauvage
Pour qui toujours mon cœur d’un même charme est pris.

Nulle part on ne voit les fermes aussi gaies
Montrant leurs toits de brique à travers les pruniers,
Plus de fleurs aux rameaux, plus d’oiseaux dans les haies,
Lorsque brillent d’Avril les rayons printaniers.

Dans ses prés odorants, par ses rochers arides,
J’ai couru, jeune enfant — et des petits bergers
Combien j’aimais les jeux, les courses intrépides :
Avec eux j’ai pillé ses splendides vergers.

À la Saint Jean d’Été, qu’il m’est doux, un dimanche,
De revoir ce vallon aux souvenirs si chers :
Pour moi qu’elle a d’attraits, sous le noyer qui penche,
Notre pauvre chaumière avec ses pampres verts.

Au détour du chemin, tout ému, je m’arrête
Et contemple un instant les rochers d’Arguel
Crénelant l’horizon de leur bleuâtre crête
Et comme un fort abrupt s’étageant dans le Ciel.

Je contemple le Doubs errant par les prairies,
Ainsi qu’un serpent vert, en zig-zag ondulant ;
Ou bien, autour de moi, les blanches gypseries
Et notre vieille église au dôme de fer blanc :

Je contemple surtout du joli Bout-du-Monde
La cascade égrenant ses humides saphirs :
Les soirs d’été, l’on dit qu’une fée en son onde
Vient livrer son beau corps aux baisers des zéphirs :

Mais on m’a vu venir — et ma mère attentive
Vite du buffet tire une nappe où se sent
Une suave odeur d’iris et de lessive,
Et mon père à la cave en sifflottant descend.

Grand’mère, sommeillant dans son fauteuil de chêne,
Se réveille en sursaut sous mon bruyant baiser,
Et, tandis que Médor aboie à perdre haleine,
Le chat sur mes genoux, leste, vient se poser.

Voilà bien la grand’ salle aux poutres décorées
De faulx et de râteaux, de grappes de maïs :
Sur les murs je retrouve, images vénérées,
Ferréol et Ferjeux les patrons du pays.

Qu’il est bon le dîner dans la faïence peinte
De fantastiques fleurs ou d’un coq jaune et bleu ;
Le vin de Mercurot pétille dans la pinte
Et dans les verres coule ardent comme du feu.

C’est d’abord le pain bis avec son goût d’amande.
Le bresi rouge et sec qui fait boire à grands coups.
L’omelette d’or, blonde ainsi qu’une flamande,
Et la tranche de lard qui tremble sur les choux.

De bon cœur rit mon père et, sa gaîté, c’est signe
Que ses grands bœufs vont bien et que ses blés sont beaux,
Que les foins ont donné, que superbe est la vigne :
Pourtant d’avance il craint... de manquer de tonneaux.

Fraîche comme son nom, ma cousine Rosette,
À vêpres se rendant, vient nous dire bonjour :
On dirait de Muller l’espiègle Mionette :
Vraiment elle devient plus belle chaque jour.

Ma sœur en souriant au milieu de nous pose
Un immense gâteau, des fraises de Fontain ;
Et voyant qu’à chanter déjà l’on se dispose,
Mon père apporte encor un flacon de vieux vin.

dimanche 31 août 2025

Marie Dauguet • Le voyage | Les rendez-vous du vers






Ce poème, malgré la monotonie que peuvent évoquer ses rimes suivies, est à mon sens l’un des meilleurs de Marie Dauguet. Il rappelle le grand poème Le roulier d’Édouard Michaud — ou inversement. Ces poèmes « à déroulement » et profondément rustiques sont sans doute ce qui s’est fait de plus noble, de plus hautain dans l’histoire de la poésie.
Mon enregistrement ici n’est pas au sommet ; les poèmes de Marie Dauguet, Charles Argentin et Emmanuel Vitte, furent parmi les premiers desquels je fis  des enregistrements, et dans celui-ci, je n’avais pas encor pleinement adopté la rythmique si propre à la plupart des poésies audio que j’ai produites par la suite.





Le voyage




Marie Dauguet





Je me souviens du vieux cheval trottant sans trève
Tout efflanqué dans ses harnais, cheval de rêve
Qui, dans un cliquetis de ferraille et d’écrous
Et de grelots, heurtait du sabot les cailloux.

Voici les départs par les fraîches matinées,
Le grand silence des plaines embruinées ;
En marge des chemins humides, la luisante
Floraison des panais desséchés et qu’argente

La rosée, et voici, avec leurs cimetières
Aux murs blancs, l’abreuvoir et l’échoppe où l’on ferre,
Les villages, les puits dormants sous les noyers
Et le purin d’or fin qui cercle les fumiers.

Maléfique, le tourne-bride solitaire,
Lépreux et vermoulu, assis près d’une ornière,
Arbore dans le vent quelque branche de houx.
Je me souviens de ce cliquetis des écrous,

Du vieux cheval étique et de son ombre folle
Dansant sur le chemin que le soleil rissole,
Des côtes qu’on montait à pied quand il soufflait
Par trop. Je vois encor comment se déroulait

La grand’route poussiéreuse de Provenchère
Ou de Saint-Blin, les peupliers dans la lumière
Défilant au cri des essieux qui vous endort
Et dessinant au bleu du ciel leurs flèches d’or.

Une charrue ouvre à plein soc la terre forte
Sous l’élan des chevaux vigoureux qui l’emportent
Et l’homme, un grand Lorrain, au bord du firmament,
Fouaillant son attelage, superbement

Se dresse. Il est midi, on s’arrête à l’auberge,
La cuisine est obscure avec son lit de serge,
Sa grande cheminée et ses landiers noircis
Où, surveillant le pot, un grand-père est assis.

Les gens étant aux champs, l’omelette à la crème
On la bat et la soupe on la trempe soi-même
Et l’on trouve suave en des verres épais
Qu’on rince sur l’évier, un gros vin violet.

Et puis c’était le soir, la paix comme extatique
Des forêts en Octobre et le mélancolique
Encens qu’exhalaient vers les cœurs endoloris
Les fossés vaseux et les champignons pourris.

Les hêtres s’effeuillaient. Toute une âme sauvage
Respirait, et des mousses et des saxifrages
Et des taillis tout dégouttants d’humidité
Montait aux lèvres une odeur de nudité.

Le vieux cheval trottait ; les chevrotants fantômes
Des brebis nous croisaient abandonnant les chaumes
Mouillés et que la lune incertaine noyait ;
Des seuils entrebâillés dans la nuit flamboyaient,

Et c’est le cœur serré que l’on attendait l’heure
D’apercevoir au loin la très vieille demeure,
De se blottir en la douceur, oiseaux errants,
Du tiède nid qu’avaient tressé les grands-parents.