lundi 30 juin 2025

Léon Boyer • Le lièvre | Les rendez-vous du vers






Le lièvre




Léon Boyer





Au dessus des menus brins verts
Des seigles brillants de rosée,
Pointe, en l’azur des matins clairs
Un bout noir d’oreille dressée.

Et, soudain, souple, queue au vent,
Reins fauves arqués par secousses,
Surgit un lièvre, sautelant
Sur ses pattes maigres et rousses.

Il va, flaire, trotte, accroupit
Son dos bourru qu’ombrent des taches,
Parfume au thym qui refleurit
Les poils lustrés de ses moustaches,

Puis, tout à coup, preste et cornu,
Cabré dans le vent bleu qui passe,
Écoute un bruit furtif, venu
D’on ne sait quel recoin d’espace…

Henry Maystre • Les foins | Les rendez-vous du vers







Les foins




Henry Maystre





À Saint-Georges, à fin juillet,
Tous les faucheurs sont en campagne.
Dans les chemins de la montagne,
Sous les arceaux de la forêt,
Strident et sec claque le fouet
Que le cri du maître accompagne.

Genoux pliés, tête en avant,
Accrochant leurs sabots aux pierres,
À travers rocs et fondrières,
Les chevaux montent, bien souvent
Jusqu’aux sommets nus où le vent
Court au-dessus des sapinières.

Là le faucheur, les pieds ouverts,
Scande sa marche machinale.
La faux, d’une mesure égale,
Oscille, en jetant des éclairs,
Tandis que les insectes verts
Tombent avec l’herbe natale.

La faneuse vient. Son chapeau,
À coups pressés, à grands coups d’aile
Frappe l’air vif qui le querelle.
Moulant comme dans un drapeau
Son corps, le souffle du plateau
Tord ses vêtements autour d’elle.

Au râteau le blanc liseron
Enchevêtre fleurs et liane.
L’abeille à l’aile diaphane
Suit les fleurs au tas frais et rond
D’où la faneuse d’un coup prompt
Rejette l’acre gentiane.

— Eh ! là bas ! Amenez le char !
La fauche est finie et bien faite :
Du grillon on voit la retraite.
Mais il fait soif ! — Sous un fayard
Le vin de fruit est à l’écart.
Le faucheurs vont lui faire fête,

Les faneuses qu’attire peu
L’eau de leurs cruches échauffées,
La joue ardente, décoiffées,
Voudraient bien sur leur lèvre en feu
Presser la coupe du lac bleu.
Il est passé le temps des fées !

Les rameaux d’honneur sont plantés.
On part ; on dit : la charge est belle !
Comme un oiseau qui traîne l’aile
Par les chemins, des deux côtés
Des larges brancards cahotés,
Le foin jusqu’à terre ruisselle.

Mais au front des jeunes faucheurs
Il pleut des étoiles. Mystère…
Sur le char, là-haut, loin de terre,
Les faneuses, ces tendres cœurs,
Blottissant leur troupe légère, 
Sur les garçons jettent des fleurs.

jeudi 12 juin 2025

Robert Milliat • Retour | Les rendez-vous du vers






Retour




Robert Milliat





Sous ses arbres rouillés la maison me regarde
Comme une bonne aïeule au retour de l’enfant,
Et sur le mur ridé dont le front se lézarde
La vigne vierge avant de mourir se défend.

Je vais franchir le seuil et fouler cette pierre,
Sur laquelle mes pas résonnèrent souvent,
En éveillant des bruits défunts... le cimetière
De mes folles terreurs quand j’avais peur du vent.

Je parcourrai les corridors pleins de mystère
Où les échos surpris reconnaîtront ma voix
Et je me griserai de cette odeur amère
Faite de parfums morts de pomme et d’eau de noix.

Mais au lieu de rentrer, je souris et je passe.
À quoi bon revenir vers ce qu’on a quitté ?
Tous les objets aimés sont à la même place
Et leur âme d’hier est dans l’éternité.

Marie Dauguet • Sous le pin musical | Les rendez-vous du vers






Sous le pin musical




Marie Dauguet





Sous le pin musical, pendant que ton troupeau
Broute la sauge humide et tendre au bord de l’eau,
Que l’agneau ramené vers sa mère qui bêle,
S’attache avidement à sa lourde mamelle,

Sieds-toi, berger. Le soir empourpre le coteau
Et suspend nos labeurs. Prends ta musette et mêle
Aux murmures du pin, dont l’ombre bleue chancelle,
À l’appel trébuchant et clair du cailleteau,

Ta chanson. Qu’elle exalte, en un mode archaïque,
La sereine beauté de l’heure bucolique
Et la douceur de vivre et la bonté des dieux,

Tandis que dans la plaine où notre œil se repose,
Descendu de son char aux fulgurants essieux,
Le soleil las s’endort sur la javelle rose.

mercredi 11 juin 2025

Joseph Rousse • La fuie du Bois-Roux | Les rendez-vous du vers






La fuie du Bois-Roux




Joseph Rousse





Par un jour pluvieux, j’errais sur des rivages
Où le vent m’apportait le parfum des œillets.
Tout à coup l’arc-en-ciel parut dans les nuages
Éclairant l’horizon de ses brillants reflets.

Il semblait couronner une tour solitaire
Dominant la presqu’île aride et sans coteaux,
Vieux colombier aux murs envahis par le lierre,
Qui sert pour diriger les marins sur les eaux.

À sa porte jadis étaient des armoiries,
Mais en vain l’antiquaire en cherche les couleurs.
Le peuple les brisa comme les seigneuries ;
Les murs épais ont seuls défié ses fureurs.

De hardis passereaux nichent dans les cellules.
Les pigeons sont partis et ne reviendront plus.
Les ravenelles d’or, les blanches campanules
Ont poussé sur le toit, dans les gazons touffus.

J’aime voir cette fuie au sommet du village,
Près d’un sombre bouquet de sapins murmurants,
Comme un phare au milieu de l’Océan sauvage,
Faisant signe aux vaisseaux d’éviter les brisants.

Ruine abandonnée, elle est utile encore,
Pareille aux grands vieillards savants et glorieux,
Dont l’esprit s’est éteint, que pourtant on honore,
Car l’éclat du Passé s’étend toujours sur eux.