mardi 1 juillet 2025

Édouard Michaud • Là-bas | Les rendez-vous du vers






Là-bas




Édouard Michaud





Pendant que la cité torrentueuse et grise
S’apaise par degrés et se dore de soir,
Et pendant qu’aux quartiers d’usine l’on peut voir
L’âpre torche d’un four crépiter dans la brise ;

Je pense au bourg lointain si souvent visité
Par mon âme qu’effleure un regret nostalgique
Qu’il me semble présent avec sa tour tragique
Et telle qu’un géant dans sa marche arrêté.

Là-bas ! — Hélas ! là-bas, c’est l’heure où tinte encore,
Se mêlant à l’appel de l’angélus léger,
Sous les coups d’un marteau qui s’exalte à forger,
Le double cap chantant de l’enclume sonore.

Le soleil descendu cisèle à l’horizon
Deux nuages étroits et flottants comme un voile,
Une extase est au ciel déjà pers — et l’étoile
Vient y mettre une fleur qui serait un frisson.

Le croissant d’argent fin se précise et se double
Sur l’étang net qui songe entre ses longs roseaux.
Plus de pas qui s’attarde et les derniers oiseaux
Se hâtent vers les bois dont le contour se trouble.

Un meuglement de bœuf monte d’un chemin creux.
C’est un troupeau rentré du pacage et qui trempe
Au fil frais du ru proche où de la pourpre rampe
Ses flancs massifs et blonds et ses mufles ocreux.

Les champs déserts s’emplissent d’ombre. L’aile lasse,
Le vent frôle la branche au-dessus du vieux mur.
Et les subtils parfums de l’herbe et du blé mûr
S’imprègnent d’une odeur d’eau vive quand il passe.

Mais les seuils sont peuplés. On cause. Le jour fut
Dur à tous et l’on vient distraire un peu sa peine ;
Et l’on dit, à propos de la moisson prochaine —
Le gai ménétrier qu’on assied sur un fût,

Les ripailles après le travail des faucilles,
— Et l’on entend friser, cristal pur dans l’air pur,
D’un groupe qui décroît, de plus en plus obscur,
Le rire souple et musical des jeunes filles.