samedi 30 novembre 2024

Jules Mayor • Poules | Les rendez-vous du vers






Poules




Jules Mayor





Poule, ma bonne campagnarde
Qui détestes notre cité,
Petits poulets, grasses poulardes
Picorant au soleil d’été,

Poule grise au pesant derrière,
Un gloussement est votre chant,
En vos habits de roturière,
Vous êtes bien filles des champs !

Humbles glaneuses de la glèbe,
Grains comme vers sont un régal.
Ainsi le pauvre, ainsi la plèbe
D’un rien font un repas frugal.

Et pourtant, poules symboliques,
Il fut un temps moins lourd d’impôts
Où tout un peuple bucolique
Rêvait de vous mettre en son pot !

Présagez-vous, bêtes dociles,
Ce triste sort sans quelque effroi,
En suivant la queue en faucille
De votre coq époux et roi ?

Vous grattez pour votre famille,
Ouvrières de nos fermiers,
Le sol où l’insecte fourmille...
Redressez-vous sur vos fumiers !

Grande est votre vertu dernière !
Pour ce bon plat qui n’est pas neuf
— O première des cuisinières ! —
Qui, mieux que vous, sait faire un œuf ?

jeudi 28 novembre 2024

Édouard Michaud • Veilleurs | Les rendez-vous du vers






Veilleurs




Édouard Michaud





Le ciel s’est découvert et le vent souffle immense,
Heurtant les châtaigniers dont sonnent les flancs creux,
Et les pommiers givrés qui se choquent entre eux
Sont tels qu’on peut les voir quand le printemps commence.

La lune ronde plane et c’est l’enchantement,
Le long des rus captifs d’éblouissantes gaines,
De lys fanés un peu vers les trous de fontaines,
Jusqu’au nocturne bleu de l’horizon dormant.

Soudain du coteau proche une voix mâle huche
Et le cristal de l’air s’en brise. Elle promet
Le coup de cidre et le bon coin où l’on se met
Près de l’âtre chantant des ronrons de la bûche.

Elle part de veilleurs en marche pour le bourg
Dans la bise obstinée à leurs blouses de toile,
Et qui, jugeant de l’heure au frisson de l’étoile,
Rentreront, un coq fou jetant son appel court.

Ils vont, leur pas se feutre et leur gosier loquace
Tente d’anciens couplets malgré le gel plus fort.
Le bourg s’offre et tant mieux si le vent qui se tord
Geint d’un portail mal clos que son humeur tracasse.

L’accueil sera meilleur du feu vermeil, meilleur
Sera le cidre bu sur le marron qui craque,
Et l’on se serrera comme harengs en caque
À savoir le froid vif pas très loin, bien qu’ailleurs.

Et l’on aura, surcroît qui seul les meut en somme,
Avec l’évocateur du drac, des lébèrous,
Le conteur dont l’œil rit sous un arc de poils roux,
Mal fait pour le dormeur trop épris de son somme,

Les filles, profils purs, regards nets, cheveux blonds,
Que, furtif, l’on saisit à leurs hanches précoces,
En attendant le jour tumultueux des noces
Où l’on viendra les prendre au son des violons.

Henri Pauthier • Les maïs | Les rendez-vous du vers






dimanche 24 novembre 2024

Nérée Beauchemin • Rayons d'octobre | Les rendez-vous du vers






Lucie-Edwige Mayen • Le chariot rouge | Les rendez-vous du vers






Le chariot rouge




Lucie-Edwige Mayen





Durant toute la nuit le cheval, à pas lents,
A gravi les coteaux et regagné la plaine.
Dans le lavis du jour, chantant sa cantilène
L’Homme qui le conduit est las et somnolent.

L’aube rosit au ciel et les flèches de feu
Dardent passionnément sur les sillons ocres
Et jette des points d’or dans le ruisseau nacré
Ou de petits poissons tracent des ronds soyeux.

Midi exaspéré sonne aux champs éblouis,
Le tumulte vibrant d’abeilles en délire
Cherche le miel exquis et l’arôme, et la cire
Au cœur voluptueux des pistils réjouis.

Et, nimbé de poussière, en mille atomes d’or
Le rouge chariot poursuit la longue route
Dont le ruban moiré s’entremêle, s’ajoute
À l’Apennin neigeux au fond du bleu décor.

L’Homme qui n’en peut plus remonte dans le char,
Et brisé, il s’endort, abandonnant les rênes
Alors, le bon cheval qui comprend bien sa peine
Connaissant son chemin, va, sans faire un écart.

Il va, les yeux fixés là-bas, sur l’horizon,
Les naseaux dilatés et l’oreille en alerte,
Sans se laisser tenter par la bonne herbe verte
Ou l’orge du fossé qui sent la fenaison.

Le harnais aux pompons fleuris d’effilés roux
S’attache sur la selle avec des clous de cuivre
Et les grelots brillants ont des reflets de givre
Lorsque pressant le pas ils vibrent à son cou.

Bien paisible, il s’en va, par crainte des cahots
Attentif aux passants, aux bœufs, aux attelages
Il passe sur un pont, traverse les villages,
La plume de faisan tremblant sur son front haut !

Repose Charretier ! Dors au son des grelots !
Le bon cheval poursuit en évitant l’ornière
Et, sachant que tu dors, agite sa crinière
Pour éloigner les taons fomentant des complots.

Que Ton rêve soit doux, autant que ton lit dur,
Repose Charretier, car cette route est tienne,
Car elle est bien à Toi, la Poussière Olympienne
Qui vient des champs Toscans sur les beaux épis murs !

vendredi 15 novembre 2024

Adolphe Hardy • Chaumière | Les rendez-vous du vers






Paul Pionis • Aurore | Les rendez-vous du vers






Léonce Depont • La maison | Les rendez-vous du vers






La maison



Léonce Depont




Non loin du pauvre champ que l'humble main cultive,
À l'endroit où le pré se termine en sentier,
Dans la vieille maison, coud la compagne active
De l'homme, du labeur des aïeux héritier.

Tous deux, bien que s'affaisse et geigne la solive,
Sont heureux là : leur cœur s'y donne tout entier.
Semer le blé, faucher l'herbe, cueillir l'olive,
Respirer en passant l'odeur d'un églantier :

Voilà leur vie. Émus, candides et fidèles,
Dans le jardin rempli d'oiseaux et d'asphodèles,
Leur travail achevé, tous deux viennent s'asseoir

Devant la maison grise où les aristoloches
Grimpent, pour écouter, dans l'air calme du soir,
Se plaindre l'âme errante et lointaine des cloches.